En Egypte, les Frères musulmans contestent sans effrayer

Le 17 février 2011

En Egypte, les Frères Musulmans ne sont pas en pointe dans la contestation du pouvoir. Et ils ne font pas vraiment peur à l'homme de la rue.

Il y a un peu plus d’une semaine, un des révolutionnaires de Tahrir portait mon attention sur les slogans qui demandaient un gouvernement séculaire.

Si l’Occident entretient sa propre peur du vide, me disait-il, c’est parce que Moubarak a réussi à l’effrayer avec le point d’interrogation de ce qui viendra après lui.

C’est évidemment aux Frères musulmans qu’il faisait référence, affirmant que ceux-ci gonflaient volontairement les chiffres de leur effectif, tout comme Moubarak : eux pour prétendre avoir joué un grand rôle dans un soulèvement réussi, lui pour chercher des soutiens dans sa répression.

Ici, à Tahrir, on me disait que l’Egypte serait davantage comme une nouvelle Turquie que comme un autre Iran. Quelques jours auparavant, le vendredi 4 février, l’Ayatollah Khamenei avait déclaré que la vague de soulèvements en Afrique du Nord et au Moyen-Orient était due au « tremblement de terre » de la Révolution Islamique de 1979 et avait appelé à une révolution semblable en Egypte. Cette déclaration et cet appel, les Frères musulmans les ont explicitement rejetés, considérant le soulèvement comme étant « la Révolution du Peuple Egyptien et non une Révolution Islamique, puisqu’elle inclut des musulmans et des chrétiens, de toutes sectes et de toutes tendances politiques. »

Les positions des Frères musulmans dans ce soulèvement étaient parfois assez confuses. Il est clair que le soulèvement égyptien ne leur est pas dû : ils s’en étaient d’abord distanciés, le 25 janvier, avant de le soutenir pleinement deux jours plus tard. Formant un puissant groupe d’opposition, ils refusent d’abord de négocier avec le régime mais finissent par accepter d’entrer en dialogue (infructueux) avec Omar Suleiman, alors Vice-Président. Certains voyaient dans cette invitation aux pourparlers une tentative du régime pour diviser l’opposition : une tentative qui tombe à plat puisque les Frères musulmans refusent de faire partie d’un quelconque gouvernement de transition et mettent en doute les « efforts » du régime.

“L’Occident n’a pas donné la chance aux musulmans modérés de s’exprimer publiquement.”

Je retourne sur la place Tahrir pour y trouver l’un de mes contacts, Islam. Il va me faire rencontrer un membre des Frères Musulmans, Alladin, et jouer les interprète. En quelques mots chuchotés, Islam lui explique qui je suis. Il accepte très simplement de répondre à mes questions. Alladin me dit que les Frères Musulmans veulent simplement vivre dans une atmosphère politique naturelle pour s’exprimer en tant que groupe, “avoir la chance de montrer leur programme, donner la possibilité aux égyptiens de vivre avec la véritable morale islamique, porter l’attention sur les valeurs islamiques dans le respect des autres, dans le pluralisme.” Islam réagit : “l’Occident n’a pas donné la chance aux musulmans modérés de s’exprimer politiquement. Les Frères Musulmans n’ont rien à voir avec l’Iran ou avec les Talibans.” Alladin reprend :

Les Frères Musulmans sont présents dans 83 pays qui n’ont jamais eu à s’en plaindre. Ça serait un problème seulement en Égypte, parce que le pays occupe une place stratégique.

Je lui demande pourquoi l’Occident aurait peur des Frères Musulmans.

Parce que pour les Frères Musulmans l’Islam n’est pas seulement une religion, c’est aussi un mode de vie. Et aussi parce que ça contredit le programme de certains pays qui tirent profit des dictateurs et de la corruption. Les Frères Musulmans menace ce programme parce qu’ils sont insensibles à la corruption.

Selon Islam, mon interprète, si les Frères Musulmans vivaient cachés jusqu’à présent, c’est parce que le régime procède à des arrestations en vertu de l’état d’urgence, ayant déclaré l’illegalité du groupe. Selon lui, les Frères Musulmans de rapprochent de l’Iran, du Hezbollah et du Hamas dans leur soutien au peuple palestinien, mais ils s’en différencient par les moyens : “Les Frères Musulmans sont modérés et ne veulent pas recourir à la violence.”

Ils ne pourraient pas dépasser un tiers des sièges au Parlement

Bien que les Frères musulmans représentent l’organisation religieuse égyptienne la plus importante, nombreux sont ceux qui leur réfutent l’appellation de parti politique, et eux en premier. De toute façon, l’Egypte n’autorise pas la formation de partis religieux. Ainsi, les candidats politiques des Frères musulmans ont rencontré un succès relatif lors d’élections parlementaires sous la bannière d’autres partis.

Comme le rappelle Juan Cole : il se pourrait que l’Egypte ne change pas sa position sur la formation de partis religieux. Dans ce cas, les Frères musulmans devraient continuer à recourir à la même méthode s’ils veulent être présents dans la vie politique égyptienne, et cela limiterait leur influence. En outre, pour Cole :

Le clergé n’est pas important dans la vie religieuse sunnite comme les ayatollahs chiites le sont en Iran. Les Frères musulmans, en tant qu’organisation largement laïque, ont beaucoup de soutiens, mais on ne peut pas dire qu’ils gagneraient plus d’un tiers des sièges s’ils se présentaient à des élections libres.

Certains analystes voient dans la religiosité égyptienne un soutien implicite pour les Frères musulmans. Selon Juan Cole, l’Egypte vit un renouveau religieux depuis une vingtaine d’années.

Que les gens aillent à la mosquée, dit-il, ou que les femmes portent le voile, ne veut pas forcément dire qu’ils voteraient pour un groupe comme les Frères musulmans. Beaucoup de musulmans pratiquants sont ouvriers d’usine et bien plus proches du mouvement du 6 Avril que des Frères musulmans.

S’il est vrai que l’organisation des Frères musulmans, fondée en 1928, développe une aile terroriste dans les année 1940, elle subit une répression sévère depuis les années 1950 et 1960, ce qui instigua des changements relativement profonds en son sein. Ainsi, dans les années 1990, selon le professeur Juan Cole, les Frères musulmans en viennent à s’opposer aux mouvements radicaux comme celui du Jihad islamique égyptien.

Pourtant, les Cassandres occidentales ont excusé leur « devoir de réserve » par le spectre d’une prise de pouvoir islamiste alors que cette stratégie de la peur n’a pas vraiment de fondation, comme le montre Christopher Azalone quand il décortique le mythe des Frères Musulmans. Ce faisant, elles ne sont que les émules d’un Hosni Moubarak qui excusait, de son côté, un état d’urgence permanent (et donc une répression légale) par ce même spectre.

Lire également le témoignage d’une française présente au Caire sur OWNI

>> photos flickr CC rana ossama ; kodak agfa

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