OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 SkyTruth: l’anti-Yann Arthus Bertrand http://owni.fr/2011/07/19/skytruth-lanti-yann-arthus-bertrand/ http://owni.fr/2011/07/19/skytruth-lanti-yann-arthus-bertrand/#comments Tue, 19 Jul 2011 13:05:44 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=74119 Lancée en 2001, l’ONG SkyTruth a décodé des centaines d’images satellitaires de toute une panoplie de désastres provoqués par les activités industrielles, agricoles ou immobilières : nappes de pétrole, déforestation, glissement de terrain et autres inondations. Loin de l’imagerie esthétisante de Yann Artus Bertrand ou de Nicolas Hulot, John Amos livre en Creative Commons des clichés expertisés à destination du public. Découvert sur FlickR dans nos recherches de photographies sur les gaz de schiste, ce géologue a accepté de répondre à quelques questions pour OWNI.

Comment vous est venue l’idée de SkyTruth ?

L’idée m’est venue au milieu des années 1990 : à l’époque, j’étais géologue consultant pour deux sociétés de conseil en imagerie satellitaire qui décryptaient des photos pour le compte de compagnies pétrolières, minières ou d’agences gouvernementales. Après quelques années à travailler pour BP, Shell, Exxon, Texaco et autres, j’avais vu des milliers d’images terribles qui racontaient des histoires de catastrophes environnementales qui, pour moi, relevaient de l’intérêt général : des déforestations massives si isolées que personne ne pourrait jamais les découvrir, des mines à ciel ouvert gigantesque, des nappes de pétrole immenses qui traversaient des océans entiers…

La mine à ciel ouvert de Cerro de Pasco (Perou) au coeur d'une ville de 70.000 habitants.

Or, les seules personnes qui avaient accès à ces clichés étaient ceux qui pouvaient les payer : de grandes agences gouvernementales ou de grandes entreprises. Qui plus est, elles nécessitaient une expertise importante pour révéler leur gravité. J’ai commencé à réfléchir à une manière de résoudre ce problème et pour rendre ces photos accessibles et compréhensibles à n’importe quelle personne intéressée par les problématiques environnementales et dotée de deux yeux.

Comment votre projet s’est-il concrétisé ?

L’avantage de travailler avec ces industries, c’est qu’il est facile de mettre de l’argent de côté. En 2001, j’ai encaissé mon solde de tout compte, monté SkyTruth et obtenu le statut « internal revenue service » [sorte de loi Coluche américaine, NdR] qui permet l’exemption d’impôt des dons faits aux ONG, aux écoles, aux églises, etc. Jusqu’en 2010, j’étais tout seul mais l’équipe s’est étoffée depuis d’un administrateur de bureau et de Paul, notre « gourou des réseaux sociaux » et chef ingénieur.

Comment vous procurez-vous les clichés satellitaires ?

Nous n’avons malheureusement pas les moyens de nous payer un satellite à 300 millions de dollars ! Il y a tout une panoplie de systèmes d’imagerie satellitaire qui correspondent à toute une gamme de prix et de qualité. Certains appareils sont gérés par les gouvernements et fournissent des images gratuitement mais pour une résolution très faible : pour le Golfe du Mexique, par exemple, nous prenons des images de la Nasa qui livre deux clichés par jour avec une résolution de 250 mètres de côté pour chaque pixel. A titre de comparaison, nous étudions l’impact de l’exploitation du gaz naturel des réservoirs compacts (tight gas) dans le Wyoming sur la faune animale, notamment sur le gibier qui représente un grand intérêt touristique de la région grâce au satellite français Spot : nous couvrons une zone de 60×60 km avec une résolution de 5 mètres de côté par pixel ! En revanche, chaque image nous est facturée 4700$.

L’avantage est que, avec l’imagerie payante, nous pouvons demander un certain angle, une résolution particulière… Pour le gratuit, nous faisons avec ce que nous trouvons : avec la Nasa, le système Modis nous donne accès à une base qui couvre la Terre entière mais pas forcément de la meilleure manière.

Inondations suite à l'exploitation minière en Papouasie.

Avez-vous réfléchi à un moyen de prendre vos propres clichés ?

Un des projets de Paul, notre chef ingénieur, consiste à utiliser des ballons gonflés à l’hydrogène embarquant un appareil photo haute résolution. La technique a déjà été utilisée par un chercheur du MIT membre de GrassRootsMaping.org sur la fuite de pétrole de BP dans le Golfe du Mexique. Mais, pour l’instant, nous en sommes au stade expérimental.

En quoi consiste votre travail une fois les photos récupérées ?

C’est assez rapide en fait : je télécharge, je jette un oeil et je passe à la suivante si je ne trouve rien d’intéressant. Si jamais il y a un élément intéressant, alors il faut comparer, utiliser des logiciels de cartographies comme GIS… Une grande partie de notre expertise consiste à comparer des bases de données. Pour les gaz de schiste, nous allons pouvoir compter le nombre de sites sur une photo satellite et la comparer aux zones autorisées, aux nombres de puits qu’ils déclarent avoir forés, etc. Pour les nappes d’hydrocarbures, nous comparons les clichés avec les vitesses du vent relevées par les bouées en mer pour évaluer leur dispersion.

A qui s’adresse votre travail ?

Notre objectif final, c’est d’intéresser le plus de monde possible. Le véritable pouvoir politique vient de la base, le pouvoir de protéger l’environnement. Pour pousser des politiques écologiques, il faut agir à chaque niveau : à Washington, dans les États, auprès des gouverneurs, des élus… Le but est d’amener les citoyens à repenser leur rapport à l’environnement et à s’engager dans le processus politique. Les informations que nous fournissons sont totalement inaccessibles au grand public autrement : quelle surface des Appalaches est concernée par l’exploitation du charbon ?

Explosion de l'exploitation des gaz de schiste dans le Wyoming.

Que pensez-vous du travail de certains reporters qui présentent des images magnifiées de la nature pour défendre l’environnement : votre travail ne va-t-il pas dans un sens exactement opposé ?

Vous soulevez un point intéressant : j’ai souvent été accusé à l’issue de mes conférences de déprimer les gens ! Il m’était reproché de montrer l’impact réel de notre mode de vie et de poser une question qui dérange : jusqu’où sommes-nous responsables ? J’espère que ceux qui voient mes photos se posent ces questions, qu’ils les appliquent à leur consommation d’énergie ou de matériaux. Mais parfois, je montre aussi de belles images, ne serait-ce que pour faire passer l’idée que la Terre est un bel endroit qui vaut encore la peine d’être sauvé. Ma seule préoccupation, c’est que les gens se lèvent de leur canapé après avoir vu les images.

Pensez-vous que le modèle de SkyTruth puisse être étendu à d’autres organisations ?

N’importe qui peut faire SkyTruth dans son jardin ! C’est un outil très puissant mais qui peut avoir de multiples applications. Nous voulons que l’information se diffuse, c’est aussi pour cette raison que nous sommes en Creative Commons : c’est un format qui permet de les diffuser le plus largement possible tout en gardant un recours en cas d’abus. Nous travaillons avec des ONG sur des problématiques liées à la forêt, les gaz de schiste et d’autres problématiques mais nous aimerions former des citoyens afin qu’ils puissent s’approprier cet outil : SkyTruth pourrait devenir un verbe. La prochaine étape de notre développement sera de monter une armée de “SkyTruthers” pour redonner leur pouvoir aux gens sur les décisions qui menacent leur environnement.


Crédits Photo FlickR CC by-nc-sa SkyTruth

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Egypte: silence radio pour les Coptes http://owni.fr/2011/02/13/egypte-silence-radio-pour-les-coptes/ http://owni.fr/2011/02/13/egypte-silence-radio-pour-les-coptes/#comments Sat, 12 Feb 2011 23:36:52 +0000 Anne-Marie Gustave http://owni.fr/?p=46261 Publié avant la chute du régime d’Hosni Moubarak, cet article revient sur la situation des coptes en Egypte après les attentats dont leur communauté a été victime à la fin de l’année 2010.

Seules quelques webradios et quelques télévisions satellitaires permettent aux Coptes de s’exprimer en Egypte. Car les onze chaînes de télé hertziennes et les vingt radios FM, aux ordres du gouvernement, ne s’adressent qu’aux musulmans. Mais l’attentat du 31 décembre et la peur du terrorisme pourraient bien rapprocher les deux communautés.

Le 6 janvier, à 22 heures, la messe de Noël vient de se terminer. En plein cœur du Caire, les Coptes quittent en silence l’église Kasr el-Doubara, protégée par des barrières, une ribambelle de policiers et un portique de sécurité. Depuis l’attentat du 31 décembre (vingt et une person­nes tuées, cinquante blessées) à Alexandrie, haut lieu de l’histoire copte, l’heure est au recueillement et à la prudence.

Les fidèles ren­trent vite chez eux, car la rumeur annonce des échauffourées dans un quartier pro­che, mais aussi parce qu’ils veulent voir, sur la deuxième chaîne de la télévision d’Etat, le maigre visage de leur patriarche, Chenouda III, célébrant une messe en la cathédra­le d’Abbassiya. L’événement ne se produit que deux fois l’an, à Noël et à Pâ­ques.

Nous, les Coptes, dit une femme qui sort de l’office, représentons entre 7 % et 10 % de la popu­lation, mais nous sommes discriminés dans la vie quotidienne comme dans les médias. C’est grave parce qu’ainsi les musulmans ne nous connaissent pas.

L’information supervisée par un colonel de l’armée

Aucune des onze chaînes de télévision ou des vingt stations FM de l’Ertu (Egyptian Radio and Television Union), toutes contrôlées par le gouvernement, ne laisse de place aux Coptes, alors que les prédications des imams sont diffusées chaque jour sur les écrans, et les versets du livre sacré de l’islam livrés en continu sur Radio Coran. Ce traitement s’ajoute au manque cruel de liberté éditoriale. Il y a encore deux ans, l’Ertu était dirigée par un colonel. Un ingénieur a pris sa place. Le ministre de l’Information y a ­installé ses bureaux. L’un de ses hommes supervise toute l’info.

Chez nous, explique un journaliste d’une radio du gouvernement qui veut rester anonyme, comme tous nos interlocuteurs, les journalistes n’écrivent pas leurs textes. Ils lisent ceux rédigés par des fonction­naires d’Etat et obéissent aux ordres. Comme ils n’ont pas reçu de consignes au moment de l’attentat de l’église copte, ils n’en ont pas parlé ou seulement pour dire “c’est lamentable, c’est affreux, il faut rester solidaire”. Sur nos ondes, il n’y a pas de débat, pas d’analyse, juste des messages de tolérance qui passent en boucle et répètent : “Depuis toujours, les Egyptiens sont frères et sœurs et vivent en parfaite harmonie.

Une de ses collègues de la télévision d’Etat s’insurge :

Une personne contrô­le l’info de toutes les chaînes. Elle prend ses ordres auprès du ministre et nous dit : aujourd’hui on par­le de ceci, demain, de cela. On nous demande le nom de nos invités et les questions qu’on va leur poser. On nous impose des directives et des messages. Concernant l’attentat d’Alexandrie, le message est : tout le monde condamne. En général, lorsqu’il y a des problèmes religieux, on nous demande de ne pas en parler. Les Egyptiens ont compris. Ils ne nous font plus confiance. Ils nous regardent pour les films et la musique. Pour le reste, ils se branchent sur Al Jazeera. Pour les faire revenir, notre direction investit des sommes colossales, dans les studios et des décors somptueux. Ça ne change rien, bien sûr. Les journalistes qui ont un peu le sens de l’honneur dépriment.

Devant cette désinformation organisée, les Egyptiens n’ont guère le choix, d’autant que les médias publics internationaux, comme RFI par exemple, et les stations privées religieuses, même musulma­nes, sont interdits en hertzien. Du coup, ils s’équipent : 99 % de la population possèdent une antenne parabolique, 95 % Internet.

L’oxygène des webradios et de la télévision par satellite

Ainsi, les Coptes ont trouvé leurs moyens de communication : des webradios basées à l’étranger et des télévisions par satellite installées dans les grandes villes égyptiennes. Elles sont tolérées dans la mesure où elles respectent un code de bonne conduite : les chaînes confessionnelles peuvent parler de leur religion, mais pas de celle d’autrui et surtout pas de politique. Enfin, elles ne sont pas autorisées à filmer hors de leurs studios et de leurs églises. Pour réaliser des reportages dans la rue, elles doivent demander une autorisation au bureau de la sécurité de l’Etat, situé au premier étage de l’Ertu. Et ça peut prendre des semaines. En novembre dernier, vingt télés satellitaires ont été interdites parce qu’elles ont critiqué le président Moubarak et l’Islam.

Animées par le seul message chrétien, les télés satellitaires coptes vivent de dons ou de la générosité de particuliers fortunés.

Au moment de l’attentat, nous avons fait du direct pour soutenir la foi des téléspectateurs, parler de l’événement du point de vue de l’Eglise. C’était l’occasion de montrer que Dieu peut soigner les blessures, raconte une journaliste d’une chaîne copte. On a diffusé des interviews d’artistes et de responsables religieux, toutes confessions confondues, mais aussi des reportages réalisés dans les églises et les hôpitaux. On a aussi organisé un concert avec des chants chrétiens qui parlent de l’Egypte. C’était la première fois que l’on sentait les musulmans compatir et sympathiser avec nous… En fait, le gouvernement égyptien ne nous donne pas plus de libertés parce qu’il a peur de la réaction des fondamentalistes.

Un confrère d’une autre télévision copte satellitaire ajoute :

Nous n’attendons pas que le gouvernement nous demande d’être modérés. Le 31 décembre, nos équi­pes étaient dans l’église des Saints d’Alexandrie. Nous avons diffusé toutes les images, les blessés, les morts. Ce sont les téléspectateurs qui nous ont suggéré de passer des re­portages moins violents.

L’an dernier, cette chaîne a lancé des débats interreligieux avec les musulmans :

Ces derniers apprécient, ça marche bien. Petit à petit, les choses avancent. Personnellement, je suis optimiste, cet attentat va faire réfléchir. Dans quelques mois, il y aura davantage de place pour les Coptes dans les médias et les écoles. Déjà, le ministre de l’Enseignement a promis de changer tous les manuels d’histoire. Ceux utilisés actuellement ne parlent pas de nous, alors que nous sommes à l’origine de ce pays et que notre langue est issue de l’Egypte ancienne. De l’obscurantisme pourrait sortir une lumière…

Depuis l’attentat, dans l’église Kasr el-Doubara, les Coptes organisent chaque jour des soirées de consolation. Ils prient, chantent et pleurent. Certains parlent de leur peur, affirment que le terrorisme les frappera ­encore (dix jours après l’attentat, un policier musulman déclenchait une fusillade meurtrière dans un train contre des chrétiens). D’autres font preuve d’optimisme. Au bord des larmes, une femme d’une quarantaine d’années hésite et dit d’une voix brisée : « Pendant la messe de minuit, des centaines de musulmans, cierge allumé à la main, ont entouré quelques-unes de nos églises. »

Des racines antiques.

A leur arrivée en Egypte, au VIIe siècle, les Arabes trouvent une importante population chrétienne, progressivement convertie à l’islam. Mais une partie des Coptes (mot formé sur le nom grec Aiguptios, « Egyptien ») conserveront leur religion et une connaissance de leur langue, issue de l’égyptien ancien. Aujourd’hui, une grande majorité est orthodoxe, mais il existe une minorité catholique. Entre 8 et 10 millions, soit environ 10 % de la population égyptienne, les Coptes forment la plus importante communauté de chrétiens d’Orient. Seuls 10 des 518 députés égyptiens sont coptes.
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Article intialement paru le 24 janvier 2011, sur le site de Télérama n° 3184

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Crédits images via Flickr : Sarah Carr [cc-by-nc-sa] ; Vanlyden [cc-by-nc-sa] ; Thomas Leplus [cc-by-nc-sa]

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Contrôler les « positions éminentes » du cyberspace http://owni.fr/2010/03/30/controler-les-%c2%ab-positions-eminentes-%c2%bb-du-cyberspace/ http://owni.fr/2010/03/30/controler-les-%c2%ab-positions-eminentes-%c2%bb-du-cyberspace/#comments Tue, 30 Mar 2010 08:16:12 +0000 Philippe Quéau http://owni.fr/?p=11157 L’Internet est un domaine public mondial dont la maîtrise est vitale pour les États-Unis, de même que la mer, l’air et l’espace, estime l’armée américaine. Comment la volonté de « domination » se traduit-elle dans le cyberespace ? De façon générale, quelles sont les « positions éminentes » dans la société de l’information et de la connaissance ?

Pour comprendre la nature de la mondialisation à une époque donnée, il peut n’être pas inutile de se référer aux stratégies militaires d’occupation de l’espace global, elles aussi fort caractéristiques et révélatrices des grandes structurations à l’œuvre.
Pour illustrer ce point, je voudrais parler de la question actuelle des « positions éminentes » pour le contrôle des domaines publics mondiaux.

De tout temps, en matière de stratégie militaire, le contrôle des « positions éminentes » a joué un rôle essentiel. La maitrise des points hauts, ou de l’espace aérien en sont des exemples. De nos jours, il s’agit surtout de s’assurer le contrôle de la « position éminente » suprême : l’espace.
Rappelons qu’il y a environ 1000 satellites actifs actuellement en orbite. La moitié d’entre eux appartiennent aux États-Unis, et ceux-ci sont approximativement pour 50% d’usage civil et pour 50% d’usage militaire. Rappelons aussi que le 21 janvier 1967 un Traité international a banni la nucléarisation de l’espace – mais pas l’usage d’armes conventionnelles dans l’espace. C’est cette réalité que la polémique internationale autour du système de défense antimissile révèle.

Dans le cadre d’une stratégie globale, que l’on a pu qualifier de « pax americana », l’armée américaine a identifié comme d’importance vitale divers domaines publics à l’échelle globale (« global commons ») : la mer, l’air, l’espace et le cyberespace (sea, air, space, cyberspace).

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Elle a aussi défini une doctrine stratégique à leur égard, qu’elle a formulée ainsi: « La domination militaire des domaines publics mondiaux est un facteur clé de la position de puissance globale des États-Unis » (“The “command of the commons” is the key military enabler of the US global power position”).
Le contrôle des domaines publics mondiaux signifie que les États-Unis obtiennent beaucoup plus d’usages et d’avantages de la mer, ou de l’espace que les autres puissances, qu’ils peuvent empêcher leur utilisation par celles-ci, et que ces dernières perdraient tout engagement militaire sur les domaines publics mondiaux si elles cherchaient à en empêcher l’accès aux États-Unis. “Command means that the US gets vastly more military use out of the sea, space and air than do others, that it can credibly threaten to deny their use to others, and that others would lose a military contest for the commons if they attempted to deny them to the US.” Barry Posen, The Military Foundations of US Hegemony, International Security, Summer 2003, pp. 5-46 .

On trouve aussi formulée une doctrine plus “politique” des domaines publics mondiaux, traduisant de façon fort intéressante l’admission d’un lien structurel entre les « domaines publics » et le « bien commun » mondial. C’est la doctrine selon laquelle : « La stabilité des domaines publics mondiaux est en soi un bien commun » (“Stability within the global commons is a public good”).
Tout le monde a en effet un intérêt évident à une « stabilité » des domaines publics. La plupart des pays ont un très grand intérêt à cette stabilité, mais il est aussi vrai que d’autres pays, qui n’en tirent que peu d’avantages directs, restent de par leur degré de développement incapables de tirer tout le parti souhaitable des domaines publics mondiaux.
La puissance dominante, qui en tire des avantages tactiques et stratégiques absolument essentiels, estime en conséquence qu’il lui revient le rôle d’assurer la protection ou la garantie de cette stabilité. La question plus générale de savoir si cette stabilité est mieux garantie sous leur égide, plutôt que par un autre mécanisme, par exemple multilatéral, reste ouverte.

Mais ce qui m’intéresse surtout ici c’est le concept stratégique de « position éminente », dans le contexte plus large des sociétés de la connaissance.
La notion concrète de « position éminente » varie à l’évidence suivant les milieux où l’on opère. La volonté de « domination » (« command ») qui se traduit d’une certaine manière dans l’espace, comment se traduit-elle donc dans le cyberespace ?
Plus généralement, quelles sont les « positions éminentes » dans la société de l’information et de la connaissance?

On peut avancer par exemple les nœuds de concentration mondiale du trafic Internet, les treize « serveurs racine » du DNS (dotés du système « Carnivore » ou de logiciels d’analyse des données « deep packet inspection »).
Mais il y a aussi le contrôle de l’architecture des réseaux et de ses grandes « autoroutes de l’information » (citons le système d’espionnage Echelon pour les satellites et divers autres systèmes d’espionnage pour les fibres sous-marines). L’architecture logicielle générale, les routeurs (avec les trap-doors), la prééminence dans le domaine des virus et autres chevaux de Troie électroniques, font à l’évidence partie des autres « positions éminentes » dont il s’agit de s’assurer le contrôle. Voir à ce sujet http://www.eff.org/issues/nsa-spying.

Naturellement, si j’ose dire, les « domaines publics » de la société de l’information peuvent être « contestés » par d’autres puissances (« contested commons »). L’espace en fait partie. On cite souvent, à cet égard, le récent tir d’un missile chinois sur l’un de ses propres satellites. Cela a pu être interprété comme un « message » adressé au monde sur la question de l’arsenalisation croissante de l’espace.
Les attaques de cyberguerre (cf l’affaire Google) font partie du même scénario de « contestation des communs ».

Un autre exemple de « communs », à la fois contestés et enchevêtrés (couplant des questions de stratégie militaire globale, et des systèmes clé pour les sociétés d’information): le système GPS, qui se voit concurrencé par le système européen Galileo.

On pourrait utilement chercher d’autres aspects stratégiques du concept de « position éminente » dans le cadre des sociétés de l’information. Ainsi, quel statut donner au renforcement continu de la propriété intellectuelle depuis plusieurs décennies ? (Barrages de brevets, frappes juridiques préemptives). Le non-débat public et démocratique sur l’Accord commercial Anti-Contrefaçon (ACAC ou ACTA en anglais) en fait partie.
Font aussi partie de la stratégie du « contrôle des communs », les questions de la captation privative des capitaux cognitifs (Google), sociaux (Facebook), attentionnels (Twitter), humains (marchandisation des données personnelles, observation et de l’exploitation des « intentions » des usagers).

Il faudrait, plus généralement, s’interroger sur le rôle global, stratégique et tactique, des techniques d’appropriation et de domination du domaine public des informations et des connaissances, et les confronter à une réflexion, par ailleurs urgente, sur la nature même de l’intérêt général mondial.

> Billet initialement publié sur Metaxu sous le titre “La position éminente”

> Illustration sacrifice_87 sur FLickr

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