OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Les profs Internet http://owni.fr/2012/09/18/les-profs-internet/ http://owni.fr/2012/09/18/les-profs-internet/#comments Tue, 18 Sep 2012 15:24:31 +0000 Thomas Saintourens http://owni.fr/?p=120356 Usbek & Rica, ce 18 septembre à la Gaité Lyrique à Paris, à l'occasion d'un nouveau Tribunal pour les générations futures. Pour nourrir cette réflexion, reportage chez les révolutionnaires de la pédagogie. ]]>

©Gwendal Le Scoul pour Usbek & Rica

Ce reportage est à retrouver dans le dossier « La revanche des cancres » à la Une du dernier numéro d’Usbek & Rica.

Au guidon d’un tricycle propulsé par un extincteur, Walter Lewin traverse l’amphithéâtre du MIT à toute allure en hurlant « Yihaaa ! ». Ses étudiants de physique – disons plutôt son public – se marrent et applaudissent. À la question rituelle « Quel est ton prof préféré ? », tous répondent mister Lewin, à Boston. La réponse serait la même à Dallas, Guingamp ou Hô Chi Minh-Ville : sur Internet, les cours de cet allumé à l’accent hollandais sont visionnés deux millions de fois chaque année. Pas besoin de frais d’inscription pour être un disciple de celui qui prône la nécessité «d’être un artiste pour motiver ses étudiants».

À 76 ans, Lewin représente une nouvelle génération d’enseignants, qui utilisent le « je » à tout bout de champ, gèrent leur image comme des vedettes de cinéma et font fructifier leurs talents de pédagogue bien au-delà de leur quota d’heures légal. Cette vogue vient d’Amérique, qui toujours chérit ses self-made men et sait apprécier les performances. Dans le jargon, on les appelle les trophy professors, ceux que les facs s’arrachent chaque été au terme de transferts dignes de la NBA.

À la maxime « Publish or perish », qui symbolise le souci vital des profs d’apposer leur nom dans les revues prestigieuses, un nouveau commandement est en passe d’apparaître : « Entertain ! »

Prime aux barjots

Aux côtés de l’inénarrable Lewin (il faut le voir, en tenue de safari, tirer au canon des balles de golf sur un faux singe pour expliquer la gravité) brille une constellation de profs stars, précurseurs d’une ère nouvelle où la matière, dopée au marketing personnel, devient marché de niche. Tel le philosophe américain Michael Sandel, dont le cours intitulé « Justice avec Michael Sandel » est un succès planétaire. Pas de plan en trois parties, mais une question, de laquelle découle un raisonnement richement argumenté : « Peut-on justifier la torture ? », « Combien vaut une vie humaine ? »… Son site annonce ses dates de tournée et propose une ribambelle de produits dérivés.

Moins profs que prophètes, ces hommes de spectacle savent monétiser leur charisme.

Je veux devenir le Lady Gaga de la finance !

C’est ce que clame Aswath Damodaran, 10 000 abonnés sur Twitter, des livres à la pelle, toujours bien placé aux baromètres des profs les plus influents (il exerce dans une demi-douzaine de facs à la fois). Son confrère Ron Clark, élu « Instituteur de l’année » aux Disney Awards 2001, fait son beurre au niveau élémentaire. Ses [PDF] « 55 règles » de vie en classe et sa pédagogie énergique, forgées dans des écoles publiques de Harlem, ont même eu l’honneur d’une sitcom avec Matthew Perry. Comme tout bon gourou en devenir, Clark a tôt fait de quitter l’Éducation nationale pour créer sa propre académie privée.

Ces deux ambitieux font figure de débutants comparés au prof le plus populaire de la planète. Celui qui a élevé le cours de maths au stade industriel. Salman Khan travaillait dans la finance quand sa petite cousine, fâchée avec l’arithmétique, lui demanda de l’aide sur messagerie instantanée. L’expérience fut si concluante qu’en quelques mois Sal s’est retrouvé à la tête de la plus grande école alternative (et dématérialisée) du monde. Plus de 60 millions d’élèves suivent ses chaînes thématiques gratuites, traduites dans plus d’une dizaine de langues. Et la Khan Academy attire désormais une nouvelle clientèle : des écoles publiques américaines qui n’hésitent pas à utiliser directement ses méthodes.

De vulgarisation à vulgarité, la frontière est poreuse. La nouvelle génération de profs cliquables joue parfois le show pour le show. Comme Charles Nesson, cybergourou senior basé à Harvard, qui milite pour l’utilisation du poker dans les méthodes d’apprentissage. Ou Bucky Roberts, un trentenaire à casquette – mais sans baccalauréat –, qui depuis sa chambre a lancé un tutoriel à l’imparable simplicité, baptisé « The New Boston ». Peut-être grisé par le succès, Bucky élargit son offre vers le bizarre : « Construire un kart », « Jouer au backgammon » ou « Survivre en milieu sauvage ».

En comparaison, le marché français est encore en voie de développement. Mais nos vedettes nationales, qui savent drainer un public d’âge mûr, ont compris la nécessité d’élargir leur gamme sans renier les fondamentaux. Au rayon philosophie, Michel Onfray joue toujours à guichets fermés au théâtre d’Hérouville-Saint-Clair. L’hédoniste normand est une PME à lui tout seul, écoulant 300 000 exemplaires de son Traité d’athéologie et 400 000 CD de sa Contre-histoire de la philosophie. La crise spirituelle a du bon. Celle de la finance mondiale aussi. L’anthropologue belge Paul Jorion, estampillé Nostradamus de la crise financière, est devenu le chouchou des internautes. Ce barbu, ancien trader, se rémunère notamment au moyen d’une fenêtre de dons PayPal glissée à côté des billets de son blog.

La guerre des profs

Faire émerger les profs phénomènes constitue une démarche économique rationnelle. Selon une étude publiée en janvier 2012, si chaque élève de primaire croisait au cours d’une année de son cursus un professeur excellent (à « haute valeur ajoutée »), le PIB du pays pourrait augmenter à terme de 2 %. Alors, imaginons un peu : à quoi ressemblerait l’école de demain, quand les showmen auront pris le pouvoir ?

À une course au plaisir d’apprendre, d’abord. Des programmes saucissonnés en clips vidéo, pensés pour maximiser l’attention cérébrale. Une bourse mondiale de la popularité des super profs, indexée sur les « j’aime » de leurs fans ou l’évolution des abonnements, ferait vaciller leur hit-parade officiel. Certains gonfleront leur potentiel de prophète au moyen d’entraînements intensifs. D’autres utiliseront leur capital charismatique pour une reconversion holographique en 3D : cours d’EPS avec l’avatar de Roger Federer ou tutoriel de création d’entreprise avec celui de Mark Zuckerberg.

Ce Far West académique constituera un terrain de choix pour la bataille des paradigmes. La figure de l’enseignant glissera vers celle de militant, de lobbyiste. De l’histoire à la biologie, un vernis politique pourrait bien décorer la leçon du jour, surtout s’il s’agit d’aborder les origines de l’humanité. L’affrontement entre créationnistes et évolutionnistes échappera à tout contrôle dans le monde sans pitié des donneurs de leçons. Le pouvoir unifiant de l’école, avec ses programmes établis par consensus, volera en éclat. Chacun pourra prêcher sa vérité, flatter les élèves jusqu’à ce qu’ils se transforment en partisans. L’école deviendra club. Et tous les coups seront permis pour déstabiliser la concurrence. Sabotage académique, drague intellectuelle, dumping commercial : la guerre des paroles légitimes est déjà prête à éclater dans la jungle pédagogique actuelle.

Rien d’inédit toutefois. Cet horizon probable n’est pas sans rappeler la bonne vieille Grèce antique, quand on suivait, ébahis par leur talent, buvant leurs paroles, les Socrate et autres Aristote sous les pins parasols de la mer Égée. Ou, plus près de nous, la mode des profs stars des années 1960, quand Althusser ou Foucault faisaient salle comble, à Normale sup et au Collège de France. Sauf qu’aujourd’hui, et plus encore demain, c’est au nombre de clics que se mesurerait leur incroyable popularité. Être prof a toujours été, et sera toujours, affaire de séduction.


Illustrations par Gwendal Le Scoul pour Usbek & Rica.
Direction artistique et couverture du magazine par Almasty

Retrouvez en kiosque le nouveau numéro d’Usbek & Rica

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Vendredi c’est graphism http://owni.fr/2012/02/03/vendredi-cest-graphism-s03e05-apple-futur-hadopi/ http://owni.fr/2012/02/03/vendredi-cest-graphism-s03e05-apple-futur-hadopi/#comments Fri, 03 Feb 2012 09:00:05 +0000 Geoffrey Dorne http://owni.fr/?p=96894 Vendredi c'est graphism, la chronique qui nous darde de ses puissants rayons lumineux à l'heure où la France grelote, obligeant l'honnête candidat à la présidentielle à s'enrhumer tandis qu'il distribue des tracts au graphisme douteux, parce que lui ne lit pas Vendredi c'est graphism. Après on s'étonnera. Hum ? ]]>

Bonjour :-)

Je vous propose de rester bien au chaud avec ce nouvel épisode de “Vendredi et c’est Graphism” ! Au programme de la semaine, l’interface de la maison du futur, l’argent d’Apple, le documentaire “Crack the Surface”, les graffitis d’Hadopi, une chorégraphie avec un hélicoptère sans oublier du guerilla gardening et le célèbre WTF à base de poils.

C’est vendredi et c’est “Graphism” !

Allez, on commence la semaine avec le premier prototype d’interface pour cette fameuse “maison du futur”, dont tout designer entend parler à longueur de journée mais dont ne sont produits que très peu d’innovations. L’idée de ces interfaces pour nos “maisons du futur” est, en général, de mettre toute une batterie te technologies dans un cadre confortable, un cadre chalereux. Cependant, lorsque j’ai vu cette vidéo démo du projet Openarch, je pensais que cela allait être encore un énième projet pour nous faire rêver. Mais il en est rien, l’équipe a déjà commencé à développer le projet !

Pour le résumer, Openarch est une maison prototype qui mêle des éléments matériels et logiciels comme des murs amovibles, des interfaces basées sur Kinect avec un langage gestuel, etc. Voici donc la démo :

Le film :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

La démo technique :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

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Que feriez-vous avec 97 milliards de dollars d’argent comptant? Personnellement, je ne saurais jamais que faire de tout ceci, mais Apple est actuellement en train de réfléchir à cette question. Cette visualisation de données nous présente quelques comparaisons entre l’argent d’Apple et ce que la société pourrait faire avec… tout est une question de priorité, vous l’aurez compris.

source

On continue notre revue de la semaine avec ce documentaire en deux parties intitulé : « Crack the Surface ». La seconde partie étant sortie il y a quelques jours, c’est donc l’occasion pour moi de vous regrouper tout ça pour vous le présenter. « Crack the Surface » donne un aperçu intéressant et parfois spectaculaire de cette tendance appelée « Urbex » pour exploration urbaine. L’idée de croiser culture urbaine, ville, et exploration flirte ainsi avec le risque d’accéder à tout, de s’infiltrer dans les lieux fermés, abandonnés, oubliés et, chose rare dans ce documentaire, on y voit des gens qui expliquent le pourquoi de la chose.

Premier épisode :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Second épisode :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

source

Sur Owni, je vous parle souvent de graffiti, d’art urbain mais cette fois-ci, on fait un petit pas de côté avec les clichés que Grégory Gutierez a pris devant le siège d’Hadopi dans le 15e arrondissement, rue du Texel, à Paris. Des gens sous l’égide d’Anonymous ont donc conçus des pochoirs assez élégants et les ont appliqués en blanc sur les deux colonnes devant l’entrée du siège. Jusque là, tout va bien. Bon, après le gros « We are legion » a été fait à la bombe de peinture rouge un peu à l’improviste. Moins classe mais plus revendicatif.

À noter également l’échange entre Grégory Gutierez et un employé :

A ce moment un gars en pull sort de l’accueil où il était avec quelques personnes, et vient vers moi, avec un air sévère et en regardant tout autour de lui, comme pour vérifier que nous étions seuls : “Vous ne devez pas prendre des photos, arrêtez ! Vous êtes de quel magazine d’abord ?”.

Je lui réponds, très calme : “Pardon ? Je suis dans la rue, sur un espace public, j’ai parfaitement le droit de prendre des photos de l’immeuble. Et je ne suis d’aucun magazine.” Il rétorque, énervé : “Mais alors pourquoi vous prenez des photos ? Pourquoi ? Vous voulez nous salir, c’est ça ? Qu’est-ce que vous allez en faire ?”.

Je réponds : “Pardon mais je peux bien avoir toutes les raisons que je veux, vous n’avez pas à le savoir. Et puis je n’ai aucune intention de vous salir, vous n’êtes qu’un employé, vous n’êtes pas responsable. En revanche, HADOPI, c’est autre chose… Vous voulez qu’on en cause ?”.

Je serais curieux de voir si « l’action numérique » d’Anonymous continue de passer le pas de la rue et s’organise pour progresser un peu « IRL » comme on dit. Si les formes d’hacktivisme sont intelligentes -et j’imagine déjà mille façons de créer- il y a matière à faire. De même, Anonymous puise sa force dans ses revendications & dans le fait que ça n’est personne et c’est tout le monde. Il faudrait peut-être ainsi imaginer des formes d’action urbaines collectives et désolidarisées. Enfin, les rares actions de ce genre qui me viennent en tête sont celles des black blocs (des gens rassemblés dans un mouvement autonome pour -en général- affronter la police lors de rassemblements comme le G20 par exemple). Il faudrait quand même quelque chose de bien plus pacifique…

Voici les clichés :

hgadopi Ooops, le siège dHadopi a été taggué par les Anonymous.

source

Ah, la danse ! Vous ne le savez peut-être pas, mais la danse & la technologie font souvent bon ménage et cette performance éthérée en est encore la preuve. Ce travail de la chorégraphe de danse contemporaine Nina Kov, vient associer deux “types” de sujet que sont une danseuse et un modèle réduit d’hélicoptère. Cette drôle d’idée est ainsi mise en image dans “Copter”, un court-métrage qui se penche sur les fantasmes de l’enfance vus au travers du prisme de l’âge adulte. Le projet est en train de se monter, n’hésitez-donc pas à leur manifester votre intérêt…

Cliquer ici pour voir la vidéo.

source

Je vous avais déjà parlé de cette tendance écolo et urbaine intitulée « Guerilla gardening ». Le jardinage urbain est à la ville ce les noisettes sont au chocolat, pas indispensables mais terriblement délicieuses. Bref, dans l’est de Londres, des équipes de jardiniers improvisés se sont frottés aux nids de poule, aux coins de trottoirs, aux petits bouts de pavés de la ville pour y installer des îlots de nature. Le tout est assez poétique, anecdotique, temporel, et c’est aussi pour ça que c’est beau.

mini guerilla gardening Découvrez le mini guerilla gardening !

source

Aaaah, le WTF tant attendu de cette semaine est placé sous le signe des voeux… de Martine Aubry ! Dans les rues de Lille, Martine Aubry & le Conseil Municipal de la ville de Lille vous souhaitent une… très belle année 2012 ! Mais  ”What the fuck ?!” comme disent les jeunes, quel est donc ce lapin rose ?

aubry voeux20121 [WTF] Les voeux de Martine Aubry en affiche.

source

Je vous remercie encore d’être toujours aussi nombreuses & nombreux à lire et participer au partage de Vendredi c’est Graphism. Je vous propose aussi d’aller plus loin avec ces applications iPad qui auront marqué 2011, comme celle sur le système solaire, celle avec cette horloge, celle-ci très créative, ce jeu étrange. Si vous avez le temps, passez donc au Musée des Arts Décos à Paris ou encore  au 40mcube à Rennes !

Excellent week-end et à la semaine prochaine,

Geoffrey

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Les idéologues d’un monde sans enfant http://owni.fr/2012/01/23/les-ideologues-un-monde-sans-enfant/ http://owni.fr/2012/01/23/les-ideologues-un-monde-sans-enfant/#comments Mon, 23 Jan 2012 12:18:56 +0000 Stéphane Loignon http://owni.fr/?p=94362
Il n’est pas si lointain le temps où l’écrivain belge Théophile de Giraud et sa compagne arpentaient, songeurs, les routes du pays cathare, contemplant avec perplexité des banderoles qui annonçaient la fête des Pères. Ainsi est né le fruit de leur amour… la première fête des Non-Parents ! Bientôt trois ans et une santé de fer. Cette célébration, unique en son genre, a lieu en alternance à Paris et Bruxelles, sous le patronage bienveillant de la psychanalyste Corinne Maier, auteur de No kid : quarante raisons de ne pas avoir d’enfant : “J’en ai encore trouvé d’autres depuis ! ” confie-t-elle, forte de son expérience de mère d’adolescents, avant de poursuivre : 

Je ne m’étais pas posé suffisamment de questions avant d’avoir des enfants.

En Europe, la natalité est la plus faible au monde : l’indicateur de fécondité (1,53 enfant par femme en moyenne aujourd’hui) y est inférieur au seuil de renouvellement des générations (2,1) depuis les années 1970. Sur un Vieux Continent qui n’a jamais autant mérité son surnom, faire des enfants n’est plus une évidence. Faut-il s’en plaindre ou s’en réjouir ?

Terriens à la barre

Terriens à la barre

En 2050, la population mondiale atteindra les neuf milliards, selon les démographes. Et depuis octobre dernier, nous sommes ...

Pourquoi fait-on si peu d’enfants en Europe ?

Par hédonisme. La “transition démographique” – marquée par le recul de la mortalité et de la fécondité grâce à l’amélioration de l’hygiène, des conditions de vie et aux progrès de la médecine – a débuté à la fin du xviiie siècle en France et en Grande-Bretagne, avant de s’étendre à l’Europe, aux États-Unis, puis au reste du monde. Notre continent est le premier à avoir achevé ce processus, à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Depuis les années 1960, l’Europe connaîtrait une “seconde transition démographique”, caractérisée par une fécondité durablement inférieure au niveau de remplacement des générations et un déclin du mariage, selon un rapport publié en 2011 par l’Institut national d’études démographiques (Ined). Les auteurs de cette étude lient ce phénomène à une mutation sociale :

À mesure que les populations occidentales sont devenues plus riches et mieux instruites, leurs préoccupations se sont détachées des besoins strictement associés à la survie, la sécurité et la solidarité. Davantage d’importance a été donnée à la réalisation et la reconnaissance de soi, la liberté de pensée et d’action (recul de la religion), la démocratie au quotidien, l’intérêt du travail et les valeurs éducatives.

Les autres continents suivront-ils le modèle européen ?

Oui, mais jusqu’où ? Voilà la question. L’Amérique du Nord a connu une évolution similaire à celle de l’Europe, mais la baisse de la natalité a été enrayée : l’indicateur de fécondité est même remonté à 2,03 après avoir chuté à 1,80 dans les années 1970 – cette hausse étant due à la natalité plus forte des populations récemment immigrées aux États-Unis. L’Asie (2,28), l’Amérique latine (2,30) et l’Océanie (2,49) voient leur fécondité se rapprocher du seuil de renouvellement. Seule l’Afrique continue à avoir une fécondité élevée, mais celle-ci diminue rapidement (4,64 contre 6,07 à la fin des années 1980). Selon le démographe Gilles Pison, il est très difficile de prévoir le comportement de ces continents une fois leur transition démographique achevée. La fécondité pourrait aussi bien s’y stabiliser au niveau du seuil de renouvellement que se fixer durablement en dessous. Alors, écrit-il dans son Atlas de la population mondiale,

si la famille de très petite taille devient un modèle se répandant dans l’ensemble du monde de façon durable, avec une fécondité moyenne en dessous de deux enfants par femme, la population mondiale, après avoir atteint un maximum de 9 milliards d’habitants, diminuerait inexorablement jusqu’à l’extinction à terme.

Faut-il faire moins d’enfants pour sauver la planète ?

Pas forcément. Nous sommes aujourd’hui 7 milliards d’habitants et finirons le siècle entre 9 et 10 milliards, suivant les estimations. Pourra-t-on nourrir tout le monde ? Oui, selon l’étude Agrimonde, publiée début 2011 par l’Inra et le Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement). Il sera même possible de le faire dans le respect de l’environnement, à trois conditions : ne pas généraliser le modèle alimentaire des pays industrialisés (25 % de gaspillage dans les pays de l’OCDE), faire le choix d’une agriculture productive et écologique, et sécuriser les échanges internationaux de produits agroalimentaires. Mais au-delà de la question de la nourriture, il existe un problème écologique.

Après 2050 l’espèce humaine s’éteindra

Après 2050 l’espèce humaine s’éteindra

Constat guère réjouissant, mais espoir tout de même, mardi au Tribunal pour les générations futures. Procureur, accusés ...

Le think tank américain Global Footprint Network calcule chaque année la date à laquelle nous avons consommé l’équivalent des ressources naturelles que peut générer la Terre en un an sans compromettre leur renouvellement. En 2011, le couperet est tombé le 27 septembre, contre début novembre en 2000. À ce rythme, l’humanité aura besoin de deux planètes par an en 2030, d’après un rapport du WWF paru en 2010. Il faut donc soit stopper l’accroissement démographique, soit consommer différemment ou moins. « Il faut se limiter à deux enfants dans les pays occidentaux », considère Denis Garnier, président de l’association Démographie Responsable (qui promeut aussi la contraception et l’éducation des femmes dans les pays en développement). Ce n’est pourtant pas ce genre d’autolimitation qui changera quoi que ce soit au final, vu le déjà très faible niveau de fécondité en Occident. Comme l’écrit Gilles Pison,

la survie de l’espèce humaine dépend sans doute moins du nombre des hommes que de leur mode de vie.

Une démographie déprimée est-elle le signe d’une société déprimée ?

Oui. Dans son essai La Fin de l’humanité, le philosophe Christian Godin établit un lien entre la faiblesse de la natalité dans les sociétés occidentales et leur déprime supposée. Si la part de sujets cliniquement dépressifs en Europe reste modérée (6,9 % de la population en 2011, d’après une étude du Collège européen de neuropsychopharmacologie), la morosité semble bien plus répandue : selon une étude BVA de janvier 2011, seuls 26 % des Européens de l’Ouest estimaient que l’année à venir serait meilleure que celle passée, contre 63 % de la population des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) et 43 % des habitants de la planète. Or, faire des enfants suppose d’avoir confiance en l’avenir. Il faut aimer le monde pour vouloir le peupler , estime ainsi Christian Godin. Une partie des militants Childfree (défenseurs de la non-parentalité) revendiquent ouvertement le pessimisme.

Naître est une aventure pénible, la Terre est quand même plutôt inaccueillante,

juge Théophile de Giraud, qui s’inscrit dans la continuité de Calderón (Le plus grand crime de l’homme, c’est d’être né ») et Cioran (« La véritable, l’unique malchance : celle de voir le jour “).

Est-il Égoïste de ne pas vouloir d’enfants ?

Oui et non. ” Faire des enfants implique des sacrifices considérables, personnels et professionnels , souligne Corinne Maier, en connaissance de cause. « Narcissisme », rétorque Christian Godin :

Désormais, chaque individu vit son existence comme s’il voulait dire : je suis content d’être le dernier homme, la dernière femme. Même si le monde devait s’arrêter après moi, (…) au moins j’aurai été consommateur de ma vie.

Mais pour les Childfree, l’argument de l’égoïsme ne tient pas, comme l’explique Kristen Bossert, porte-parole de la communauté No Kidding!, qui organise toutes sortes d’activités pour les non-parents aux États-Unis : « Quand je demande à des gens pourquoi ils font des enfants, ils me répondent “pour qu’ils prennent soin de moi quand je serai vieux” ou encore “pour transmettre le nom de notre famille”. Ce sont des raisons très égoïstes. » Conclusion de Magenta Baribeau, auteur d’un documentaire sur les Childfree : « Parents, non-parents, tout le monde est égoïste, la question ne se pose donc pas ! »


Article à retrouver dans la nouvelle formule d’Usbek & Rica, en kiosque le 25 janvier !

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Après 2050 l’espèce humaine s’éteindra http://owni.fr/2012/01/18/lextinction-de-lespece-humaine-apres-2050/ http://owni.fr/2012/01/18/lextinction-de-lespece-humaine-apres-2050/#comments Wed, 18 Jan 2012 11:06:23 +0000 Fabien Soyez http://owni.fr/?p=94469

Hier, l’INSEE communiquait ses derniers relevés de la population française, mettant en évidence une croissance de dix millions d’âmes en trente ans. Projetés sur une très longue période, ces résultats s’avèrent dérisoires. C’est l’un des constats qui s’imposaient hier soir à la Gaité Lyrique, à Paris, lors du troisième “Tribunal pour les générations futures” consacré à la démographie mondiale et à la place de l’homme sur Terre vers 2050. Un procès-spectacle organisé par nos amis du magazine Usbek & Rica.

Comme dans tout bon procès, la parole est à l’expert, place à l’objectivité. Gilles Pison, démographe à l’INED, est appelé à la barre. Chiffres sous le coude, il illustre une “situation exceptionnelle” :

Pour parler du futur, nous devons remonter le passé, 2000 ans en arrière. Nous étions alors 250 millions d’habitants. La population n’a pratiquement pas augmenté, jusqu’en 1800. Entre 1927 et 2012, brusquement, les chiffres ont grimpé en flèche.

À titre d’exemple, entre 1800 et 2000, la population Européenne a été multipliée par quatre. Comme le rappelle l’expert, “quatre bébés naissent par seconde. Comme deux personnes meurent aussi par seconde, cela fait deux personnes en plus chaque seconde.” Et d’expliquer pourquoi ce changement si soudain, à partir du XIXe siècle :

Autrefois, les familles faisaient six enfants en moyenne, mais la moitié mourrait en bas âge, la population n’augmentait donc pas. Avec le progrès technique, la découverte des vaccins, la mortalité des enfants a baissé et un excédent des naissances sur les décès est apparu (…) Les gens se sont rendu compte que les enfants avaient un coût, alors ils ont limité les naissances à deux enfants par couple.

Un nouvel équilibre est alors apparu, en Europe, en Amérique et en Asie. Seule l’Afrique connaît une transition démographique “un peu plus tardive”, mais d’après Gilles Pison, “elle finira elle aussi par rejoindre l’équilibre.”

L’expert nommé par le “Tribunal pour les générations futures” passe maintenant la population humaine dans le simulateur de l’INED et expose les différents scénarios imaginés par les Nations Unies. D’abord, celui de l’extinction, causée par le modèle des familles de très petite taille :

Si les pays en voie de développement copient les pays où la transition démographique est achevée et font moins de deux enfants par femme, de façon durable, la population mondiale, après avoir atteint un maximum de 9 milliards d’habitants, diminuera inexorablement jusqu’à l’extinction à terme.

Passé le scénario “irréaliste” d’un niveau de fécondité constant, où la population atteindrait 134.000 milliards en 2300, Gilles Pison en arrive au scénario “moyen”, celui du retour à l’équilibre, avec une fécondité stabilisée à deux enfants par femme, assez pour assurer le remplacement des générations :

En 2050, la population mondiale atteindrait les neuf milliards et se stabiliserait à ce chiffre. Mais ce scénario ne fait qu’indiquer le chemin si l’on veut que l’espèce ne disparaisse pas. La fécondité baisse partout sur la planète sans qu’il y ait besoin d’imposer le contrôle des naissances. Ce n’est pas la question du nombre des hommes que l’on doit se poser, mais plutôt celle de la façon dont ils vivent. Sommes-nous trop nombreux, ou consommons nous trop ? Ce sera mon dernier mot.

Quittant la barre, l’expert est vite remplacé par le premier accusé. La parole est à Didier Barthès, de l’association écologiste Démographie Responsable. Face à “l’explosion démographique”, l’accusé fait le pari que “la question écologique sera au coeur des préoccupations futures, ou alors le monde deviendra invivable, sans forêt, sans animaux… En fait, nous n’avons pas le choix !” A Démographie Responsable, on milite pour un contrôle des naissances. Didier Barthès s’insurge contre la croisade faite contre les “malthusiens” :

On nous traite de tous les noms, fascistes, eugénistes, antihumains, même. Jamais nous n’avons prôné une quelconque sélection, et on ne propose pas de tuer les gens ! Nous vivons une époque exceptionnelle, nous n’avons jamais été aussi nombreux et ça ne durera pas. “Croissez et multipliez”, c’est une belle phrase, mais qui a été écrite il y a 2000 ans, dans un monde où il n’y avait que 200 millions d’habitants.

Comment éviter le cataclysme ? Pour l’accusé, “on peut changer notre consommation d’énergie, recycler, ça ne changera rien au fait que nous grignotons la planète en consommant de l’espace !” Une consommation qui se traduit par une élimination du reste du vivant :

En 110 ans, nous avons éliminé 97 % des tigres. Voulons-nous d’un monde en bitume, sans vie ? L’humanisme, c’est avant tout ne pas détruire le reste du vivant, tout en assurant la durabilité des sociétés.

En guise de conclusion, Didier Barthès propose de limiter les naissances à deux enfants par femme dans les pays occidentaux. “Si nous redescendons vers une évolution plus douce, si nous allons vers une modestie démographique, nous éviterons l’extinction qui nous guette.”

Sur ces paroles qui résonnent lourdement dans le tribunal, Théophile de Giraud, écrivain et inventeur de la Fête des Non-Parents, fait une entrée fracassante. L’accusé, auteur d’un manifeste antinataliste, s’avance, pose sur le pupitre un biberon rempli de bière. Il sort un pistolet factice, et commence lentement à se déshabiller : “Il faut regarder les choses en face, la vérité est nue !”

Au-delà du show, l’accusé n’oublie pas son discours. Et se met à citer Marguerite Yourcenar, qui répondait à Matthieu Galey, dans Les Yeux ouverts :

L’explosion démographique transforme l’homme en habitant d’une termitière et prépare toutes les guerres futures, la destruction de la planète causée par la pollution de l’air et de l’eau.

Théophile de Giraud est accusé par le procureur Thierry Keller de “haïr l’humain”. Non, répond l’accusé, dans sa nudité originelle : “On ne questionne pas le désir d’enfant, avons-nous le droit de mettre un enfant au monde, et si oui, sous quelles conditions ?” L’écrivain s’attaque au concept de décroissance.

La décroissance économique est impossible, les pays en voie de développement veulent nous rejoindre et ces gens ont le droit de connaître notre confort. Mais la décroissance démographique, c’est possible ! Vive le dénatalisme ! Laissons les femmes choisir, elles préfèrent la qualité à la quantité.

Le plaidoirie de l’accusé a de quoi surprendre : “La planète est plus que trop “surpollupeuplée” ! Cela n’a rien à voir avec le progrès ou le mode de vie, on a l’exemple de civilisations sans technologie qui se sont effondrées, comme l’Île de Paques. Le problème, c’est la quantité de population sur un territoire donné. Nous agonisons sous le poids du nombre !” En brandissant son arme factice, l’accusé conclut :

La natalité est un crime contre l’humanité, vos enfants connaîtront les guerres pour l’accès aux dernières ressources disponibles… Si vous aimez vos enfants, ne les mettez pas au monde !

C’est au tour du procureur de parler. Thierry Keller est rédacteur en chef du magazine Ubsbek & Rica. Dans son dernier numéro, le journaliste reprend la théorie de Christian Godin, philosophe, qui affirme que l’humanité s’éteindra d’elle-même. Cela se passera autour de l’année 2400.

Il n’y aura pas besoin de faire la guerre, nous disparaîtrons par manque de motivation. Cette fameuse explosion démographique, c’est en réalité un mouvement vers la décélération démographique, puis l’extinction. Sommes-nous trop nombreux ? En fait, nous aurions dû poser la question autrement : serons-nous assez nombreux demain ?

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Si en seulement 50 ans, nous sommes passés de trois à six milliards d’individus, les taux de fécondité s’effondrent. En Russie, 142 millions d’âmes, la population descendra à 110 000 en 2100, selon la simulation de l’ONU. Au Maroc, elle passera de 31 millions aujourd’hui à 39 millions en 2050, mais chutera jusqu’à 33 000 habitants en 2200. Scénario digne du roman Les Fils de l’homme, de P.D. James.

Pourquoi cette baisse de fécondité ? Parce que, par peur du lendemain, par hédonisme, nous n’avons plus envie. L’enfant encombre, on pense à aujourd’hui avant demain. Nous ne pouvons pas disparaitre ainsi, avant d’avoir résolu certaines énigmes, d’où nous venons, où nous allons. L’aventure humaine ne doit pas se terminer !

Défenseur de la natalité, Thierry Keller s’adresse alors au jury, quatre personnes tirées au sort parmi le public : “Nous avons encore des choses à faire sur Terre. Jury, vous incarnez les générations futures, je vous demande ce soir de voter non à la question “sommes-nous trop nombreux ?””

Réponse unanime du jury : le non l’emporte. Les accusés, les antinatalistes, sont donc jugés coupables. En apparence, du moins. Se détachant du groupe de jurés, Mathilde, 23 ans, explique son vote :

On devait choisir si oui ou non nous étions trop nombreux sur Terre… Ma réponse, c’était ni oui ni non, je trouve ce choix, entre vivre dans un monde pourri ou s’éteindre doucement, trop manichéen. Les deux solutions sont trop extrêmes.

La jeune graphiste se range “volontiers du côté de l’expert, qui est resté objectif. J’attends de voir, il doit bien exister un juste milieu.” Comme pour lui faire écho, Gilles Pison, en sortant du tribunal, lance :

Le modèle humain n’est pas celui des mouches qui vivent dans un bocal. La population évolue de l’intérieur, c’est avant tout une question de choix. A long terme, notre survie dépendra plus de nos comportements, de notre consommation des ressources, que de notre contrôle des naissances.

Illustration : Nils Glöt pour Usbek & Rica
Photos : Ophelia Noor pour Owni /-)

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Terriens à la barre http://owni.fr/2012/01/17/terriens-a-la-barre/ http://owni.fr/2012/01/17/terriens-a-la-barre/#comments Tue, 17 Jan 2012 14:09:13 +0000 Fabien Soyez http://owni.fr/?p=94261

Après 2050 l’espèce humaine s’éteindra

Après 2050 l’espèce humaine s’éteindra

Constat guère réjouissant, mais espoir tout de même, mardi au Tribunal pour les générations futures. Procureur, accusés ...


Nos amis de l’excellent Usbek & Rica,le magazine qui raconte le présent et explore le futur, organisaient ce mardi soir à la Gaité Lyrique à Paris le “Tribunal des générations futures”. Après l’immortalité, la fermeture des prisons et la fin du vote, c’était au tour de la natalité et de la surpopulation mondiale de faire l’objet de cette conférence spectacle en forme de procès. Procureur, accusés… chacun a affirmé un point de vue différent.

Sur le banc des accusés, les anti-natalistes. Accusés de haine contre l’humanité, ils défendent la thèse d’une explosion démographique. Une peur irraisonnée, qui frappait déjà en leur temps, Aristote, Platon, puis l’économiste britannique Malthus, à la fin du 18e siècle. Didier Barthès, responsable de l’association écologiste Démographie Responsable, les représente. Il est accusé de militer pour la “stabilisation, voire une diminution de la population humaine”, et de vouloir réhabiliter Malthus, le pionnier du contrôle des naissances. Voici l’extrait édifiant d’un billet posté par ledit accusé sur son blog :

Le pasteur anglais est l’un des premiers à avoir compris la finitude du monde. A terme, la croissance de la population l’emporterait sur celle des ressources, conduisant le monde aux famines et aux désordres afférents. Il est de bon ton de rappeler avec condescendance que Malthus se serait trompé. Il n’aurait pas pris la juste mesure du progrès technique et en aurait sous estimé les conséquences. Il faut être conscient que le progrès technique nous a permis d’accéder plus vite aux ressources fossiles que la nature avait mis plusieurs dizaines de millions d’années à constituer. Il nous a permis de consommer plus rapidement le capital de la planète. A l’épuisement prochain de ces réserves, la prédiction malthusienne retrouvera toute sa force.

Didier Barthès est inculpé d’avoir proposé de limiter les naissances à deux enfants par femme dans les pays occidentaux. A ses côtés, Théophile de Giraud, écrivain et inventeur en 2009 de laFête des Non-Parents. Ce dernier est l’auteur d’un manifeste antinataliste, “L’Art de guillotiner les procréateurs“, dont nous produisons ici un extrait accablant pour l’accusé :

On pourra faire remarquer que l’espèce humaine n’existait pas voici un milliard d’années et que personne ne s’en plaignait… Imaginons à présent que notre espèce disparaisse bel et bien, qui donc demeurera-t-il pour s’en plaindre ? Le dernier des hommes ? Non, non, celui-là aussi aura disparu ; alors quelle voix humaine gémira-t-elle sur l’évaporation du plus féroce de tous les prédateurs ? Qui regrettera que l’embranchement des primates, qui n’a encore jamais cessé de se faire la guerre et de s’entretuer depuis qu’il s’est (un peu, ô si peu) différencié des autres singes, ait tout à coup cessé d’exister ? Les animaux que nous passons notre temps à exploiter, maltraiter, torturer, emprisonner et génocider ? Certes non.

Cliquez sur l'image pour voir l'infographie

Thierry Keller, rédacteur en chef d’Usbek & Rica sera le procureur de ce procès. Il rappelle que selon l’expert Gilles Pison, démographe à l’INED, la population mondiale se stabilisera d’ici à 2100 aux alentours de 10 milliards d’individus, et que les chiffres sont parfois trompeurs. Christian Godin, philosophe, a ainsi affirmé quel l’humanité s’éteindra d’elle-même, vers 2400, par “désintérêt de soi, par désinvestissement de soi”.

Si en seulement 50 ans, nous sommes passés de trois à six milliards d’individus, les taux de fécondité s’effondrent. La Chine, qui frôle les 1,4 milliards d’habitants, deviendra dans 40 ans “un pays de vieux“, en raison de sa politique de l’enfant unique. D’où, lance le procureur, la nécessité de faire des enfants au lieu de contrôler les naissances. Christian Godin affirme :

Il n’y aura pas de stabilisation mais un déclin inexorable, jusqu’à l’extinction démographique. Regardons l’exemple des pays occidentaux : on parle sans cesse de la France comme “championne d’Europe de la natalité”. Mais si on regarde de plus près, on s’aperçoit qu’elle n’arrive même pas au seuil qui permettrait le renouvellement des générations.

Aux arguments des écologistes et autres malthusiens, les humanistes représentant les générations futures répondent qu’avec la densité de Paris, on pourrait loger 7 milliards de personnes sur un territoire équivalent aux deux tiers de la France. Pourquoi parle-t-on de surpopulation, si les taux de natalité s’écroulent partout dans le monde ? Sommes-nous vraiment trop nombreux sur Terre ? Les éléments de l’accusation portée contre Didier Barthes et Théophile de Giraud sont de nature morale. Les inculpés sont accusés de ne pas avoir confiance en l’Homme et en son extraordinaire capacité à inventer et à s’adapter. Le procureur Keller affirme, dans Usbek & Rica :

Si l’espèce humaine est capable du pire, elle l’est aussi du meilleur. Chacun voit bien que nous sommes collectivement engagés dans un drôle de processus, qui doit nous mener tout droit à la grande catastrophe. Mais de par le monde se lèvent des individus qui refusent de se laisser emporter par le pessimisme. Ce sont ceux, et nous en faisons partie, qui se motivent pour écrire de nouvelles pages de l’Histoire. Peut-être est-ce de cela dont nous manquons le plus, après tout : de motivation pour continuer.

En conséquence, nous sommes d’avis que les anti-natalistes soient mis en jugement à la Gaieté Lyrique, ce soir à 19h. Un jury sera tiré au sort parmi le public et du débat naîtra (peut-être) la vérité.


D.A par © Almasty et visuel du bébé par ©Tofdru pour Usbek et Rica

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Une incertitude primaire http://owni.fr/2011/10/10/une-incertitude-primaire/ http://owni.fr/2011/10/10/une-incertitude-primaire/#comments Mon, 10 Oct 2011 16:14:57 +0000 Jean-Paul Jouary http://owni.fr/?p=82782

En aucun cas et d’aucune manière le passé par lui-même ne peut produire un acte.

– Jean-Paul Sartre, L’être et le néant

Prisonnier d’un de ces embouteillages dont Paris a le secret certains dimanches soirs, la radio m’apprend que l’Université du Tennessee vient de réaliser un super-ordinateur appelé Nautilus, censé posséder la capacité de prédire l’avenir en analysant des centaines de millions d’articles de presse anglophones et des rapports gouvernementaux américains. Il s’agit pour ses concepteurs de “prévoir le comportement humain à grande échelle”, en associant des localisations géographiques à des fréquences de mots comme “bonheur” ou “malheur” selon des méthodes de calcul, précisent-ils “très proches des algorithmes utilisés dans les prévisions économiques”.

Cela devrait inquiéter, puisque ces algorithmes n’ont pas permis de prévoir la crise des subprimes, mais cet ordinateur a déjà réussi, apprend-on, à prévoir la révolution tunisienne et le lieu où se cachait Ben Laden (à 200 km près !) une fois que ces événements ont eu lieu. Diantre ! Ces chercheurs, comme les commentateurs de Nostradamus, ont donc déjà prédit le passé.

Tandis que je rêvassais dans mon embouteillage je réalisai que, pour l’éviter, j’avais pourtant suivi à la lettre les prévisions de “Bison futé”, lequel avait recommandé d’éviter d’approcher la capitale après 18 heures. J’avais donc avancé mon départ d’une heure. Or, à 17 heures, s’était formé un bouchon géant. “Bison futé” s’était-il trompé dans ses prévisions ? Sans doute pas : ses prévisions s’appuient sur les horaires et itinéraires projetés par les automobilistes, tels que les révèlent de puissantes enquêtes.

Mais tant de gens avaient comme moi décalé d’une heure leur retour pour suivre les conseils de “Bison futé”, que nous nous étions ajoutés à ceux qui, ayant eu l’intention de revenir à cette heure-là, avaient bien sûr conservé leur projet. Du coup, c’est parce que la prévision était pertinente que la réalité ne lui correspondait plus. Je me dis alors que, pour des humains, avoir connaissance du futur qui peut découler de leurs projets présents les conduit à modifier leur comportement présent, donc le futur qui peut en découler. C’est alors que me revînt une phrase qui se trouve dans L’être et le néant de Jean-Paul Sartre : “En aucun cas et d’aucune manière le passé par lui-même ne peut produire un acte”.

Bien sûr, il faudrait être fou pour prétendre que nos choix ne sont en rien engendrés par les circonstances, notre passé individuel et collectif, les tendances lourdes qui agissent sur le mouvement des sociétés pour l’essentiel à notre insu. Tout événement trouve dans les événements qui le précèdent, sinon une “explication”, du moins autant d’éléments qui permettent d’en éclairer la genèse à tel moment et en tel lieu. Pour autant, cet événement était-il déterminé par ce passé comme une sorte de nécessité unique ? N’y avait-il d’autres possibles ? Pour défendre cette idée, point n’est besoin de partager avec Descartes par exemple une conception métaphysique de la “Liberté” du sujet, qui aurait reçu de Dieu une âme spirituelle munie d’une “Volonté” échappant à tout déterminisme.

Après tout, Marx avait souligné dans toute son œuvre que “ce sont les hommes qui font l’histoire, mais dans des conditions déterminées”. Les conditions peuvent être déterminées, l’histoire demeure tout de même l’œuvre des hommes. C’est pourquoi Marx remarquait aussi que “l’histoire a toujours plus d’imagination que nous”. Non que nous manquions d’imagination, d’ailleurs : c’est même parce que nous imaginons un certain futur que, ce futur nous effrayant ou nous séduisant, nous modifions nos façons d’agir de sorte que le futur que nous imaginions ne peut jamais se réaliser. Si la devise anarchiste “Ni Dieu ni maître” a un sens, c’est bien lorsqu’on l’applique au temps. Jamais le futur ne sera écrit dans les pages du présent.

Toujours bloqué dans mon embouteillage, la même radio me délivre comme chaque jour ou presque un sondage sur les intentions de vote des Français pour la prochaine élection présidentielle de 2012. Pour être bloqué dans son véhicule on n’en reste pas moins philosophe : Nautilus, “Bison futé”, sondages, ces trois choses me sont apparues comme liées sur l’essentiel, une même prétention à nier la créativité du temps. Si le 21 avril 2002 Lionel Jospin s’était retrouvé derrière Le Pen au premier tour de la présidentielle, c’est bien parce que, sondages aidant, les électeurs de gauche étaient si certains qu’ils n’en serait rien, qu’ils avaient choisi de lui faire savoir leur mécontentement en votant plus à gauche au premier tour. C’est ainsi qu’une certitude connue devient une erreur dès lors qu’on prétend qu’un certain futur est inscrit dans le présent. Un sondage ne pré-voit jamais l’avenir : il indique ce que cet avenir serait si rien ne changeait entre-temps. Mais, puisqu’il prétend pré-voir, il change le présent donc l’avenir.

Tout sondage d’intention de vote est donc un moyen de peser sur le cours des choses. Au lieu de faire circuler la parole comme lors des mouvements récents avec les réseaux sociaux, ce qui permet de créer un avenir à partir des aspirations communes, ces sondages donnent à chacun l’illusion qu’un certain avenir existant déjà, il ne reste plus à chacun qu’à s’y adapter pour le meilleur et surtout pour le pire. En 2011, cette fabrique d’illusions a été élevée à la hauteur d’une véritable stratégie. Il faudra y revenir.

NB : Sur la possibilité d’imposer par le haut une campagne qui sème le doute sur de véritables catastrophes humaines (amiante, tabac, réchauffement climatique) lire le livre de Stéphane Foucart Le populisme climatique. Claude Allègre et Cie, enquête sur les ennemis de la science, que viennent de publier les éditions Denoël. On y trouve même une description des moyens d’utiliser Internet, non pour développer une réflexion et un dialogue citoyens, mais pour en dévoyer au contraire le contenu.


Illustration: Marion Boucharlat

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Le futur selon Google http://owni.fr/2011/06/23/le-futur-selon-google/ http://owni.fr/2011/06/23/le-futur-selon-google/#comments Thu, 23 Jun 2011 13:22:37 +0000 Alexandre Léchenet http://owni.fr/?p=71358

À l’occasion de la journée de radio proposée par SiliconRadio, OWNI et l’Atelier des Médias de RFI se penchent sur la question “À quoi sert le futur ?”.

Vous pouvez suivre ici en direct toute cette journée et nous retrouver entre 22 heures et minuit.


Depuis la création de l’algorithme PageRank en 1998, Google a réussi à devenir le premier moteur de recherche au monde et à passer dans le langage courant. Grâce à la quantité impressionnante de données récoltées par le moteur et en fonction de l’utilisation qu’en font les internautes, Google parvient déjà à prévenir la grippe.

Et si on poussait la logique plus loin et qu’on imaginait que Google pouvait prédire le futur ? En nous inspirant du blog graphique xkcd, nous sommes allés chercher dans Google quelques prévisions sur les 100 prochaines années. Nous avons utilisé les recherches “année XXXX”, “XXXX”, “XXXX verra” et “en XXXX” pour toutes ces années et nous avons ensuite relevé les informations qui nous paraissaient pertinentes dans les premiers résultats.

Futur de Google

Ce qu’il est intéressant de constater, c’est que des astéroïdes vont détruire la planète plusieurs fois. En 2014, 2019, 2028, 2029, 2036 et 2096. La fin du monde est donc de plus en plus lointaine quand on s’éloigne dans le temps.

Soyez heureux de savoir que les États-Unis atteindront Mars en 2035 et en 2037. Que la langue française va mourir en 2061 mais qu’il y aura un milliard de francophones en 2069.

La meilleure nouvelle reste qu’après avoir vécu de nombreuses fois la fin du monde, nous serons tous immortels en 2100.


image CC Don Davis

illustration CC Marion Boucharlat pour OWNI

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[Radio] Le futur, à quoi ça sert ? http://owni.fr/2011/06/23/silicon-%ef%bb%bfradio-le-futur-a-quoi-ca-sert/ http://owni.fr/2011/06/23/silicon-%ef%bb%bfradio-le-futur-a-quoi-ca-sert/#comments Thu, 23 Jun 2011 10:15:54 +0000 Media Hacker http://owni.fr/?p=71476 Pourquoi fantasmer sur le futur ? Le journalisme de demain c’est quoi ? Comment vivre sans son iPhone? A quoi va ressembler la musique du futur ? Et finalement, le futur, à quoi ça sert ? Autant de questions qui seront abordées ce jeudi 23 juin sur Siliconradio, webradio éphémère dont OWNI est l’un des partenaires.

C’était quand déjà la fin du monde ?

2012 (et la fin du monde) se rapprochant à grand pas, Silicon Sentier a décidé de prendre ce sujet a bras le corps en créant une webradio éphémère ce jeudi 23 juin. Le thème?

Le futur prend le micro.

Cette expérience est menée à l’occasion du festival Futur en Seine qui se déroule jusqu’au 26 juin.

Le coup d’envoi de cette webradio réalisée en direct et en public à La Cantine à Paris a été donné jeudi 23 juin à 11h par les camarades de Silicon Maniacs avec de nombreux invités surprise. Vous pourrez retrouver tout le programme de cette journée, et le player de la web radio à cette adresse : http://www.siliconradio.fr/

L’Atelier des Médias/RFI et OWNI : à 2 pour 2 heures de futur

Pour cet évènement particulier, l’Atelier des Médias/RFI et OWNI ont décidé de penser le futur ensemble en partageant deux heures d’antenne, de 22h à minuit.

Tours de table, débats, présentations, journaux du futur… Pendant deux heures, l’équipe de l’Atelier des Médias et d’OWNI vont partager le futur avec les auditeurs ainsi que plusieurs invités venus décrypter le futur à nos cotés.

- Joseph Courbage, chercheur à l’institut national d’études démographiques
- Pierre Cattan, producteur audiovisuel en pointe sur les sujets Post-humains
- Christophe Galfard, physicien
- Jean Louis Frechin, responsable de l’agence NoDesign
- Jean François Lelouet, président de l’agence NellyRody

L’ami Vinvin sera aussi présent ce soir. Auteur-producteur et raconteur, mais aussi blogueur et impliqué dans TedX Paris, il viendra semer la disruption dans un programme apparemment bien huilé.

Du coté des animateurs maintenant, l’équipe de l’Atelier des médias est au grand complet avec Ziad Maalouf et Simon Decreuze. OWNI sera représenté par Philippe Couve ainsi que Romain Saillet.

Cette émission sera en direct sur Twitter, vous pourrez ainsi poser vos questions en ajoutant le hashtag #FENS (pour Futur en Seine). Nous relayerons vos questions à l’antenne. Mais si vous habitez Paris et que vous souhaitez passer directement “dans” l’antenne, n’hésitez pas venir à la Cantine Numérique de Paris, nous serons ravi de vous accueillir !


photo cc Flickr Rafael Kage

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Information du futur: trouver la réalité dans le code http://owni.fr/2011/05/31/information-du-futur-trouver-la-realite-dans-le-code/ http://owni.fr/2011/05/31/information-du-futur-trouver-la-realite-dans-le-code/#comments Tue, 31 May 2011 10:04:28 +0000 Roland Legrand http://owni.fr/?p=65358 Notre site d’information www.tijd.be existe depuis 15 ans désormais. En mai 1996, disposer d’une connexion internet 128kbit relevait de l’exception. Aujourd’hui, bénéficier d’un débit de 100 mégabits paraît tout à fait normal (en Belgique du moins).

En 2026, la vitesse ne constituera plus un problème. L’accès aux réseaux, aux flux d’information et aux bases de données sera instantané, peu importe l’endroit où vous vous trouvez dans le monde. Les smartphones et les tablettes qui nous permettent aujourd’hui de rester connectés en permanence apparaîtront dans quinze ans aussi obsolètes et archaïques que les Remington de nos collègues ancestraux. Être connecté à Internet sera une commodité au même titre que l’air que nous respirons, et l’information nous parviendra de 36 nouvelles façons.

Des sociétés comme Apple, par exemple, commercialiseront des habits “intelligents” et certains éléments électroniques vous seront même implantés directement dans le corps.
Comme très souvent en matière de technologie, c’est l’armée qui est à l’origine de ces développements. Les pilotes d’avion disposent depuis longtemps déjà d’un environnement visuel “augmenté” (head-up displays – HUD), de toutes les informations nécessaires à l’accomplissement de leur mission. L’intégration de ce même dispositif dans les voitures de luxe marquera le début de la transition de cette technologie vers un usage mainstream.

Les claviers seront remplacés par les commandes vocales, les gestes et le tactile. Les écrans deviendront des projections que vous pourrez manipuler en 2D ou en 3D. L’information sera de plus en plus contextuelle et viendra se superposer à la réalité, voire s’y intégrera, la transformant en réalité virtuelle dans laquelle nous jouerons à des jeux hybrides.

Le futur n’est bien sûr pas qu’une histoire de gadgets plus ou moins sophistiqués. La nature de cette information omniprésente va elle aussi muter, posant la question de l’organisation de ces flux.

La personnalisation de l’information

Les médias disposent tous, ou presque, de leur propre application via laquelle ils portent à la connaissance du public les contenus produits et sélectionnés par leur staff éditorial. Mais des applications comme Flipboard sont en train de changer la donne. Conçues en dehors du sérail médiatique traditionnel, ces applications transforment en un véritable magazine multimédia personnalisé le flux des articles, photos et vidéos recommandés par les individus de votre réseaux: vos “amis” et “followers”.

Certains articles viennent de The New York Times, d’autres du Wall Street Journal et de TechCrunch. Les algorithmes de ces services apprennent à vous connaître, à reconnaître les articles que vous lisez et enregistrent combien de votre précieux temps vous leur consacrez. Facebook n’affiche dans votre newsfeed que les statuts des personnes qui sont les plus importantes à vos yeux, en tout cas selon l’algorithme de Facebook. La personnalisation de l’information est d’ores et déjà une réalité, et ne va aller qu’en s’amplifiant.

Dans son livre The Filter Bubble, Eli Pariser explique comment Google calcule les résultats de vos recherches non seulement selon les termes de celles-ci mais aussi en fonction de l’ordinateur et du navigateur que vous utilisez, de l’endroit où vous vous trouvez dans le monde, etc. Ce qui veut dire qu’un individu effectuant la même recherche que vous, avec les mêmes mots-clés, recevra selon toute évidence des résultats différents des vôtres. Trouver quelque chose sur le web qui ne sera pas adapté et personnalisé à vos goûts relèvera de plus en plus de l’exception.

Le temps des mass-médias paternalistes qui vous suggéraient toujours les mêmes infos, qui que vous soyez, où des journalistes omniscients décidant seuls de ce qu’il était “bon et important” de savoir, est révolu.

Mais, comme le souligne également Eli Pariser dans son intervention à TED, le danger de cette persocialisation à outrance de l’information est de s’enfermer dans une bulle de confort, n’étant in fine confronté qu’à des infos que moi et mon réseau “aimons”, nous privant de l’accès à celles que nous devrions peut-être avoir.

Il y a des garde-fous humains. Et il y a les algorithmes. Nous en savons encore moins sur ces algorithmes que sur les éditeurs humains. Nous pouvons avoir une idée de la sélection éditoriale du New York Times, mais de nombreuses personnes ne sont même pas au courant que Google leur montre des résultats différents, qui reposent sur de prétendus critères personnels, de même qu’ils ne sont pas toujours conscients de la sélection des statuts opérée par Facebook.

Le code utilisé par les grandes compagnies pour filtrer ce que nous voyons a une importance politique. Si nous voulons conserver un Internet qui nous confronte à une diversité de points de vue et à des histoires, des faits, qui nous surprennent et nous éclairent, nous devons être conscients de ces débats autour des algorithmes et des filtres. Si nous n’y prêtons pas attention, nous serons programmés dans notre dos.

Au-delà de tous ces filtres, humains, réticulaires et algorithmiques, nous trouvons un flux d’informations toujours plus conséquent. Tweets, statuts mis à jour, billets d’experts sur des blogs; témoins et acteurs nous immergent, seconde après seconde.

Je suis sûr qu’en 2026, il y aura quelque chose que nous appellerons “journalisme”: des gens qui ont la passion de certains sujets, aimant sélectionner, vérifier et commenter, en apportant des éléments de contexte. La BBC a déjà un desk spécialisé qui analyse images et textes diffusés sur les réseaux sociaux: ils vérifient si une photo spécifique a bien pu être prise à l’endroit et au moment prétendus, pour ne donner qu’un exemple. Presque chaque jour, émergent de nouveaux outils de curation pour les journalistes et les blogueurs, qui facilitent l’utilisation des médias sociaux.

“La transparence est la nouvelle objectivité”

La curation de l’information est une activité à forte valeur ajoutée. Peu importe si ces “curateurs” se désignent comme journalistes , blogueurs, éditeurs de presse ou éditeurs en ligne: l’importance se place dans la qualité de la curation et dans le débat sans fin suscité par ces pratiques.

Quiconque a l’énergie et le temps de jeter un oeil aux flux d’informations brutes serait capable de voir la façon dont la curation ajoute, omet ou modifie les choses. Non seulement nous serions capables de l’apprécier, mais nous sommes également invités à améliorer ou à directement participer à certains projets de curation – comme Quora.

Blogueurs et journalistes qui déclarent clairement leur positionnement par rapport à l’actualité qu’ils couvrent, y compris quand ils promettent dans un même temps de représenter d’autres points de vue, seront considérés comme plus crédibles. Ceux qui seront ouverts sur leur pratique de la curation y gagneront un avantage. Comme le note Jeff Jarvis: “la transparence est la nouvelle objectivité”.

En mai 2026, les articles de fond d’un journal atteindront notre communauté de bien des façons. Je ne pense vraiment pas que le journal imprimé aura la même pertinence qu’aujourd’hui, et les gens souriront quand ils verront des captures d’écran des sites actuels. Mais il y aura toujours des informations et des discussions, des gens essayant de couvrir ce qui est essentiel dans le flot d’informations et tentant de trouver la réalité à travers les codes des algorithmes.

En préparant ce post, j’ai beaucoup appris en discutant sur Twitter, Facebook, LinkedIn, The Well, Quora… Dans un souci de transparence, j’ai annoncé ces préparations. Vous trouverez des liens vers les vidéos et articles originaux, ainsi que vers les choses finalement mises de côté pour ce billet, qui peuvent néanmoins être intéressantes pour d’autres explorations.


Article initialement publié sur Mixed realities, et dans le quotidien De Tijd sous le titre “Finding reality while looking through code”. Roland Legrand est News Manager chez Mediafin, qui édite notamment le quotidien économique De Tijd.

Traduction Damien Van Achter et Andréa Fradin.

Illustrations CC FlickR: NightRPStar, cdrummbks, Martenbjork

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http://owni.fr/2011/05/31/information-du-futur-trouver-la-realite-dans-le-code/feed/ 6
Que vont devenir les livres? http://owni.fr/2011/04/26/que-vont-devenir-les-livres/ http://owni.fr/2011/04/26/que-vont-devenir-les-livres/#comments Tue, 26 Apr 2011 06:24:06 +0000 Kevin Kelly http://owni.fr/?p=58426 Kevin Kelly [en] n’est pas le premier venu quand il s’agit de parler de cultures digitales. Ex rédacteur en chef de Wired, il vient de publier sur son blog “What books will become” (repris sur OWNI.eu), un essai passionnant sur les avenirs possibles du livre. Nous vous laissons découvrir l’intégralité de ce billet grâce à la traduction d’Hubert Guillaud.

Un livre est une histoire autonome, un argument, ou un corps de connaissances qui prend plus d’une heure à lire. Un livre est complet dans le sens où il contient son propre commencement, milieu et une fin.

Dans le passé, un livre a été défini comme toute chose imprimée entre deux couvertures. Une liste de numéros de téléphone a été appelée un livre, même si elle n’avait pas de logique de début, de milieu ou de fin. Un tas de pages vierges lié par le dos a été appelé un carnet de croquis. Il était complètement vide, mais il avait deux couvertures, et a donc été appelé un livre.

La structure conceptuelle du livre reste

Aujourd’hui, le papier des pages d’un livre disparaît. Ce qui reste à leur place est la structure conceptuelle d’un livre – un bouquet de texte uni par un thème en une expérience qui prend un certain temps.

Alors que la coquille traditionnelle du livre est en train de disparaître, il est important de se demander si son organisation est simplement un fossile. Est-ce que le conteneur intangible d’un livre offre de quelconques avantages sur les nombreuses autres formes de textes disponibles désormais ?

On peut passer des heures à lire des histoires bien écrites, des rapports, à méditer sur le web et ne rencontrer jamais quoi que ce soit de livresque. On obtient des fragments, des discussions, des aperçus. Et c’est la grande séduction du web : proposer des pièces diverses vaguement jointes.

Pourtant, il y a des livres sur le web. Beaucoup. J’ai publié un des premiers livres qui a été disponible sur le web en 1994. Mais parce qu’on ne passe aucune frontière pour atteindre ces pages, la matière livresque tend à se dissoudre dans un enchevêtrement indifférencié de mots. Sans confinement, l’attention d’un lecteur tend à s’écouler vers l’extérieur, vagabondant en dehors du récit ou de l’argument central. La vitesse de déplacement de l’attention crée une force centrifuge qui fait tournoyer les lecteurs loin des pages du livre.

Un dispositif de lecture séparée semble aider. C’est pourquoi jusqu’ici, nous avons des tablettes, des Pad et autres équipements de poches. L’appareil de poche est le plus surprenant. Les experts ont longtemps affirmé que personne ne voudrait lire un livre sur un petit écran lumineux de quelques pouces de large, mais ils avaient tort. Et de loin. Beaucoup de gens lisent avec facilité des livres sur les écrans de leurs smartphones. En fait, nous ne savons pas encore très bien comment les petits écrans de lecture de livres peuvent si bien convenir. Il existe une expérimentation de lecture qui utilise un écran qui n’affiche qu’un mot de large. Votre œil reste immobile, fixé sur un mot, qui se remplace par le mot suivant dans le texte, puis celui d’après, etc. Ainsi, vos yeux lisent une séquence de mots qui s’affichent les uns derrière les autres plutôt que côte à côte. L’écran n’a pas besoin d’être très grand.

D’autres nouveaux écrans façonnent une maison pour les livres. L’encre électronique réfléchissante renverse actuellement le vieux monde de l’édition. Cette technologie ressemble à une feuille de papier blanc réfléchissant la lumière ambiante autour de lui, couvert de texte sombre qui peut changer. Pour l’œil moyen, le texte sur ce “papier spécial” (en fait une feuille de plastique) se présente comme une encre traditionnelle forte et lisible sur du papier. La première génération de cette encre électronique en noir et blanc a fait du Kindle un succès de vente.

Dans cette démonstration de l’encre électronique, le “livre” est une tablette, une planche qui affiche une seule page. La page unique est “tournée” en cliquant sur un bouton de la planche, de sorte que l’on dissout la page précédente dans la page suivante. Une caractéristique clé du livre électronique sur papier électronique est que la taille de la police peut être réglée individuellement. Vous voulez une police plus grande ? Il suffit de l’appeler et votre livre entier se réajuste à la forme désirée.

La tablette n’est pas (forcement) l’avenir du livre

Une page d’encre électronique peut avoir la taille d’un livre de poche ou être plus grande. Le Kindle existe en deux tailles. Quand le programme s’installe, les livres électroniques sont livrés avec une recommandation : “Ce livre est optimisé pour une taille de X pouces”. Votre livre électronique favori peut-être recouvert d’un cuir usé et bien doux. (…)

Mais il n’y a aucune raison qu’un livre électronique soit une tablette. Demain, le papier à encre électronique sera fabriqué en feuilles souples bon marché. Une centaine de feuilles peuvent être liées en un faisceau, maintenu par un dos et enveloppé de deux belles couvertures. Ce livre électronique ressemble beaucoup à un livre à l’ancienne. On peut physiquement tourner ses pages, naviguer dedans en 3D, et revenir là où on en était juste en le sélectionnant. Pour changer de livre, il suffit de toucher son dos. Maintenant, les mêmes pages montrent un ouvrage différent. Utiliser un livre d’images 3D est si sensuel qu’il pourrait désormais valoir le coup d’en acheter un avec des feuilles plus minces, plus satinées…

Personnellement, j’aime les grandes pages. Je veux un lecteur de livre électronique qui se déroule, comme un origami, taillé dans une feuille au moins aussi grande qu’un journal d’aujourd’hui. Peut-être avec autant de pages. Cela ne me gêne pas de prendre quelques minutes pour le replier et le mettre dans ma poche quand j’ai terminé. J’apprécie de pouvoir regarder plusieurs colonnes de texte et sauter entre les gros titres sur un plan. Le Media Lab du MIT et d’autres laboratoires de recherche expérimentent des prototypes de livres projetés par des lasers à partir d’un appareil de poche sur une surface plane à proximité. L’écran, ou la page, est tout ce qui est à portée de main.

Le livre dont vous êtes vraiment le héros

Dans le même temps, un écran qu’on peut regarder peut aussi nous regarder. Les petits yeux intégrés dans la tablette, l’appareil photo qui vous fait face, peuvent lire votre visage. Des prototypes de logiciels de suivi de visages savent déjà reconnaître votre humeur, si vous êtes attentif, et surtout savoir ce qui attire votre attention à l’écran. Il peut savoir si un passage vous semble confus, s’il vous rend heureux ou s’il vous ennuie. Cela signifie que le texte pourrait s’adapter à la façon dont il est perçu. Peut-être qu’il se développera plus en détail, ou se rétractera selon votre vitesse de lecture, adaptera le vocabulaire à votre niveau, ou réagira de mille manières possibles. Il existe de nombreuses expérimentations qui jouent d’un texte qui s’adapte. Le livre peut vous proposer des résumés des différents personnages et de l’intrigue en fonction de ce que vous avez déjà lu…

Une telle souplesse rappelle le tant attendu, mais jamais réalisé, rêve d’histoires qui bifurquent. Les livres qui ont de multiples fins ou les scénarios alternatifs. Les précédentes tentatives d’hyper-littérature hyper ont rencontré un échec lamentable parmi les lecteurs. Les lecteurs ne semblaient pas intéressés pour décider de l’intrigue, ils voulaient que l’auteur décide. Mais ces dernières années des histoires complexes avec des voies alternatives ont rencontré énormément de succès dans le domaine du jeu vidéo (et en passant, il y a beaucoup de phases de lecture dans de nombreux jeux.) Certaines des techniques pionnières dans l’apprivoisement de la complexité des histoires axées sur l’utilisateur dans les jeux pourraient migrer vers les livres.

En particulier les livres avec des images en mouvement. Nous n’avons pas encore de mots pour ces objets. Nous appelons les livres avec beaucoup d’images fixes des livres d’images ou des beaux livres ou des livres d’art. Mais il n’y a aucune raison que les images dans les livres numériques demeurent statiques. Et aucune raison non plus qu’on pense pour autant qu’ils deviennent des films. Sur un écran, on peut marier texte et images vives, l’un informant l’autre. Que ce soit du texte à l’intérieur des images animées aussi bien que des images à l’intérieur du texte. Quelques schémas interactifs produits par le New York Times et le Washington Post se sont déjà approchés de ce mariage des mots et du mouvement.

Cet hybride de films et de livres nécessitera un ensemble d’outils que nous n’avons pas à notre disposition pour le moment. À l’heure actuelle, il est difficile de feuilleter des images en mouvement, ou d’analyser un film, ou d’annoter une image dans un film. Idéalement, nous aimerions manipuler des images cinétiques avec la même facilité et la même puissance que nous manipulons du texte – en l’indexant, le référençant, le coupant, le collant, le résumant, le citant, le liant et en paraphrasant son contenu. A mesure que nous acquérons ces outils (et ces compétences), nous allons créer une classe de livres très visuels, idéal pour la formation et l’éducation, que nous pourrons étudier, rembobiner et étudier à nouveau. Ils seront des livres que nous pourrons regarder ou une télévision que nous pourrons lire.

Quand le livre sera libéré, il sera plus facilement manipulable

Quand une table peut servir d’écran pour un livre et qu’un livre peut-être quelque chose que nous regardons, nous devons revenir à la question de ce qu’est un livre. Et de ce qui lui arrive quand il devient d’origine numérique.

L’effet immédiat des livres d’origine numérique est qu’ils peuvent circuler sur n’importe quel écran, n’importe quand. Un livre apparaît quand il est convoqué. Le besoin d’acheter ou de stocker un livre avant de lire s’en est allé. Un livre est moins un objet et plus un flot qui s’écoule sous vos yeux.

Les gardiens actuels des livres électroniques – Amazon, Google et les éditeurs – ont décidé de paralyser la liquidité des livres électroniques en empêchant les lecteurs d’un texte de le copier-coller facilement, de copier une grande partie d’un livre ou d’empêcher la manipulation sérieuse d’un texte. Mais à terme, les textes des livres électroniques seront libérés et la vraie nature des livres s’épanouira. Nous verrons que les livres n’ont jamais vraiment voulu être des annuaires téléphoniques ou des catalogues de matériel ou des listes gargantuesques. Ce sont des emplois que les sites remplissent de manière bien meilleure – notamment pour la mise à jour ou la recherche – et des tâches pour lesquelles le papier n’est pas adapté. Ce que les livres ont toujours voulu, c’est d’être annotés, marqués, soulignés, écornés, résumés, croisés, hyperliés, partagés, et discutés. Devenir numérique leur permet de faire tout cela et bien plus.

Nous pouvons avoir un aperçu de cette nouvelle liberté avec le dernier Kindle. Alors que je lis un livre, je peux (avec quelques difficultés encore) mettre en évidence un passage dont je tiens à me rappeler. Je peux extraire les faits saillants et relire ma sélection d’éléments les plus importants ou mémorables. Plus important encore, avec mon autorisation, mes surlignements peuvent être partagés avec d’autres lecteurs, et je peux lire les leurs. On peut même filtrer les plus populaires mis en lumière par tous les lecteurs, et de cette manière commencer à lire un livre d’une manière nouvelle. Je peux aussi lire les surlignements d’un ami, un érudit ou un critique. Cela donne une audience plus large aux précieuses marges, à la lecture attentive d’un autre auteur du livre, une aubaine qui était auparavant uniquement réservée aux collectionneurs de livres.

L’hyperliage dense des livres ferait de tout livre un évènement en réseau

Nous pouvons partager non seulement les titres des livres que nous lisons, mais nos réactions et les notes que nous avons prises à mesure que nous les lisons. Aujourd’hui, nous pouvons surligner un passage. Demain, nous serons en mesure de relier les passages. Nous pourrons ajouter un lien entre une phrase du livre que nous lisons et une phrase contrastée d’un autre livre que nous avons lu, nous pourrons ajouter un lien entre un mot dans un passage et un obscur dictionnaire, entre une scène dans un livre et une scène similaire dans un film (toutes ces astuces nécessitent des outils pour trouver des passages pertinents). Nous pourrons nous abonner au flux d’annotation de quelqu’un que nous respectons, et nous n’obtiendrons pas seulement leur liste de lecture, mais également leurs notes, leurs surlignements, leurs questions, leurs réflexions…

Ce type de discussions sous forme de club de lecteurs intelligents, comme il arrive désormais sur GoodReads, pourrait suivre le livre lui-même et devenir plus profondément ancré dans le livre au moyen d’hyperliens. A l’avenir quand une personne citera un passage particulier, un lien bidirectionnel pourra relier le commentaire au passage et le passage au commentaire. Même un ouvrage mineur pourrait ainsi accumuler un ensemble de commentaires critiques étroitement liés au texte.

L’hyperliage dense des livres ferait de tout livre un évènement en réseau. Pour le moment, le meilleur que peut faire un livre est de lier le titre d’un autre livre. Si un autre travail est mentionné en passant ou dans sa bibliographie, un livre électronique peut activement lier le livre en entier. Mais il vaudrait mieux lier vers un passage spécifique dans un autre travail, une prouesse technique qui n’est pas encore possible. Mais quand nous saurons lier profondément les documents au niveau de résolution d’une phrase, et avec des liens qui vont dans les deux sens, alors nous aurons construit des livres en réseaux (ce qui était, en passant, la vision originale de Ted Nelson quand il évoquait le “docuverse”).

Wikipedia, l’exemple du livre numérique participatif

Vous pouvez avoir une idée de ce que cela pourrait être en visitant Wikipedia. Pensez à Wikipedia comme un très grand livre – une encyclopédie unique – ce qu’elle est bien sûr. La plupart de ses 27 millions de pages sont bourrés de mots soulignés en bleu, indiquant des hyperliens se reliant à des concepts ailleurs dans l’encyclopédie. Wikipedia est le premier livre en réseau. Quand tous les livres deviendront entièrement numériques, chacun d’entre eux accumulera l’équivalent de ces passages soulignés de bleus, chaque référence littéraire sera mise en réseau dans le livre et dans tous les autres livres. Cet hyperliage profond et riche va tisser tous les livres en réseaux en un grand métalivre : la bibliothèque universelle. Au cours du prochain siècle, les savants et les amateurs, aidés par des algorithmes de calcul, vont tricoter ensemble les livres du monde en une seule littérature en réseau. Un lecteur sera capable de générer le graphe social d’une idée ou la chronologie d’un concept ou la carte d’influence d’une idée dans une bibliothèque… Nous en viendrons à comprendre que nul travail, nulle idée ne s’impose seule, mais que toutes les choses, bonnes, vraies et belles sont en réseaux, composent des écosystèmes pièces interreliées, d’entités liées et de travaux similaires.

Wikipedia est un livre qui n’est pas seulement lu socialement, mais également socialement écrit. On ignore encore combien de livres seront écrits collectivement. Il semble évident que de nombreux ouvrages scientifiques et techniques seront construits grâce à la collaboration décentralisée en raison de la nature profondément collaborative de la science. Mais le noyau central de la plupart des livres continuera probablement à être l’auteur isolé. Toutefois, les références auxiliaires en réseau, discussions, critiques, bibliographies et liens hypertextes entourant le livre seront probablement le fruit d’une collaboration. Les livres sans ce réseau se sentiront nus.

La bibliothèque complète universelle (tous les livres dans toutes les langues) sera bientôt disponible sur n’importe quel écran. Il y aura plusieurs façons d’accéder à un livre, mais pour la plupart des gens la plupart du temps, un livre particulier sera essentiellement libre (vous aurez à payer une redevance mensuelle pour “tout ce que vous pouvez lire”). L’accès sera facile, mais trouver un livre, ou obtenir de l’attention pour un livre sera difficile… d’où l’importance de l’accroissement du réseau de l’ouvrage, car c’est le réseau qui apportera les lecteurs.

“des flux de mots plutôt que des monuments”

Une bizarrerie des livres en réseau, c’est qu’ils ne sont jamais terminés, ou plutôt qu’ils deviennent des flux de mots plutôt que des monuments. Wikipedia est un flux de modifications, comme quelqu’un qui essaye d’en faire une citation le réalise. Les livres aussi sont en train de devenir des flux, des premières versions de l’ouvrage sont écrites en ligne, les versions antérieures publiées, les corrections apportées, les mises à jour ajoutées, les versions révisées approuvées en ligne. Un livre est en réseau dans le temps ainsi que dans l’espace.

Mais à quoi bon appeler ces choses des livres ? Un livre en réseau, par définition, n’a pas de centre ni de bords. Est-ce que l’unité de la bibliothèque universelle pourrait être la phrase ou le paragraphe, l’article ou le chapitre au lieu du livre ? Peut-être. Mais il y a un pouvoir dans la forme longue. Une histoire autonome, un récit unifié, un argument clos qui a une attraction étrange pour nous. Il y a une résonance naturelle qui attire un réseau autour de lui. Nous allons découper les livres en bits constitutifs et tricoter ces pièces dans le web, mais l’organisation de niveau supérieur de l’ouvrage va continuer à focaliser l’attention. Un livre est une unité d’attention. Un fait est intéressant, une idée est importante, mais seulement une histoire, un bon argument, un récit bien conçu sont étonnants et ne s’oublient jamais. Comme le disait Muriel Rukeyser (poète américaine) [en]: “L’univers est fait d’histoires, pas d’atomes.”

Pour le moment, nous sommes dans une course pour trouver le bon conteneur des livres numériques. Libérés de leur coquille de papier, ils semblent avoir besoin de plus que de l’immensité ouverte du web. Ils aiment la compacité virale d’un PDF, mais pas son apparence rigide. L’iPad est sensuel et intime (comme le contenu des livres), mais actuellement lourd dans la main. Le Kindle a l’avantage de concentrer l’attention comme les livres l’aiment. Ces deux derniers conteneurs électrisent le public pour leur commodité et la qualité de leur interface. Les livres peuvent apparaître sur n’importe quel écran, et peuvent être lus partout où il est possible de les lire, mais je pense qu’ils se tourneront naturellement vers des formes qui optimiseront la lecture.

Dans le long terme (disons les prochains 10-20 ans), nous ne paierons plus pour des livres à l’unité, pas plus que nous ne paierons pour des chansons individuelles ou des films. Tout sera diffusé dans les services sur abonnement payant, vous pourrez juste “emprunter” ce que vous voulez. Voilà que devrait désamorcer l’angoisse actuelle de produire un conteneur pour les livres électroniques. Les livres électroniques ne seront pas possédés. Ils seront accessibles. Le véritable défi à venir est de trouver un dispositif d’affichage qui permettra l’attention dont les livres ont besoin. Une invention qui vous encourage à aller au paragraphe suivant avant la prochaine distraction. Je suppose que cela résultera d’une combinaison de logiciels incitatifs, d’interfaces lecteurs évoluées et de matériel optimisé pour la lecture. Et de livres écrits avec ces appareils à l’esprit.

Kevin Kelly
Traduction Hubert Guillaud

Photo Credits: Flickr CC doordoordoor, Remi Mathis, Phil Bradley, michaelrighi

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