OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Les accélérations du web arabe http://owni.fr/2011/03/27/les-accelerations-du-web-arabe/ http://owni.fr/2011/03/27/les-accelerations-du-web-arabe/#comments Sun, 27 Mar 2011 14:00:41 +0000 Yves Gonzalez-Quijano http://owni.fr/?p=53432 Personne n’ose plus s’aventurer aujourd’hui à prédire les conséquences des bouleversements politiques que connaît le monde arabe depuis le déclenchement de la révolution tunisienne. Il y a toutefois une certitude : le regard posé sur cette région a radicalement changé. Comme l’a très rapidement souligné l’économiste et essayiste libanais Georges Corm, on assiste même à cette chose impensable il y a peu encore : le Sud est devenu une sorte de modèle pour le Nord, cité aussi bien dans les mouvements sociaux de l’Etat du Wisconsin que dans ceux de la capitale portugaise !

En ce qui concerne les technologies de l’information et de la communication (TIC) également, et précisément pour ce qui est de leur importance politique, la révolution dans les esprits est tout aussi notable. Après des années de total aveuglement sur les changements en cours, voilà qu’on voudrait faire tout à coup des soulèvements populaires tunisiens et égyptiens les premières “révolutions Twitter” de l’histoire du monde ! Naguère désert numérique voué à l’immobilisme politique, le monde arabe se voit miraculeusement transformé, par la grâce de certains commentateurs, en laboratoire des révolutions du troisième millénaire ! La diffusion des techniques numériques et l’adoption des réseaux sociaux ne sont le fait que d’une partie de la jeunesse arabe, bien entendu très loin d’être majoritaire. Il ne faut pas hésiter à le souligner alors que l’analphabétisme touche plus de la moitié de la population dans des pays comme le Yémen ou la Somalie mais aussi, à des degrés à peine moins élevés, comme l’Egypte ou le Maroc…

Cependant, on ne peut que se réjouir de voir enfin modifié le prisme à travers lequel le monde arabe a été longtemps observé. En France en particulier, l’histoire, les préjugés, les intérêts mal compris, ont trop longtemps imposé des œillères rendant pratiquement impossible une vision tant soit peu objective des réalités. Pour autant, il ne faudrait pas que de nouvelles illusions brouillent à nouveau notre lecture des faits. Tous les observateurs ou presque ont été surpris par ces soulèvements populaires, et plus encore peut-être par la manière dont les acteurs de ces mouvements se sont emparés des réseaux sociaux pour former des militants, pour mobiliser des manifestants, pour diffuser l’information sur leurs actions… Sans négliger toutes les autres déterminations œuvrant sans aucun doute au succès de ces revendications politiques, comment expliquer que le “web 2.0 arabe” ait pu y être présent d’une manière aussi marquante ?

Un retard “bienvenu”

Il n’y a pas d’acte de naissance pour le Web 2.0, personne ne saurait dire à quel moment précis les “anciennes” pratiques du Web ont évolué majoritairement vers d’autres modes de fonctionnement. Il apparaît néanmoins, rétrospectivement, que les prophéties qui annonçaient, quelques années seulement après la révolution du Web, sa mort prochaine, au profit d’autres usages d’internet, n’étaient pas sans fondement. De fait, c’est bien juste après l’entrée dans le troisième millénaire que l’histoire des TIC, déjà incroyablement rapide et ramassée, a connu une nouvelle inflexion radicale à la suite de la diffusion de nouvelles applications au nombre desquelles figurent celles que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de “réseaux sociaux”.

Analysant ce phénomène – surtout par rapport à l’espace politique français ou plus largement européen – Dominique Cardon met l’accent sur un phénomène qui lui paraît essentiel, celui de la “massification des pratiques” qui accompagne cette nouvelle ère de l’internet. L’analyse vaut également pour le monde arabe, si ce n’est que les conséquences de ce qu’on n’appelait pas encore le “web 2.0″ y ont été paradoxalement décuplées par son “retard”. En effet, il y avait bien quelques raisons à la relative invisibilité de l’acculturation numérique du monde arabe pour tant d’observateurs. Au moment où internet entrait dans une nouvelle phase de son histoire, on pouvait penser, surtout lorsqu’on s’appuyait sur des instruments d’analyse strictement quantitatifs, que les pays arabes n’avaient toujours pas entamé une révolution technique où, à l’échelle mondiale, seuls les pays d’Afrique semblaient être encore moins avancés.

Il y avait bien entendu des causes politiques à cette situation, et l’on a d’ailleurs bien (trop) souvent souligné le rôle négatif joué par des régimes autoritaires de la région, sans prendre en compte le fait que nombre d’entre eux – la Tunisie et l’Egypte singulièrement ! – avaient aussi lancé d’importantes initiatives pour l’incitation au développement des nouvelles économies du savoir. Mais il y avait aussi des obstacles financiers et sans doute plus encore techniques. Or, précisément au début du XXIe siècle, quand se mettent en place les données technique du web 2.0, ils ont fini par être levés, assez rapidement en définitive, grâce à différentes avancées dans le domaine de l’adaptation et de la portabilité des applications, sans parler de la diminution de leurs coûts.

Restaient les pesanteurs éducatives – ou même “culturelles” pour ceux qui croient à une identité musulmane ontologiquement rétive à la technique et au progrès…. Celles qui auraient pu freiner la pénétration d’internet, en raison par exemple des réticences à “bousculer” les codes d’une langue en partie figée, dans sa pratique écrite, par son statut symbolique notamment dans le domaine religieux, n’ont en réalité guère pesé, d’autant plus, encore une fois, que la dissémination des usages s’est faite à un moment où le réseau s’orientait vers une conception toujours plus “user-friendly“.

Entrant dans la culture du numérique avec un réel décalage temporel, les sociétés arabes sont pour ainsi dire passés directement à l’âge du web 2.0. Elles ont brûlé les étapes d’une chronologie pourtant déjà très resserrée en ignorant ou presque les prémices du web “première manière” pour entamer leur développement numérique principalement avec les blogs et les applications des réseaux sociaux. En définitive, le retard des pays arabes aura été en quelque sorte “bienvenu” puisque la démocratisation de l’accès à internet aura coïncidé, plus qu’ailleurs, avec la dynamique sociale associée à la diffusion d’applications si l’on veut plus “démocratiques”.

L’interconnexion de la jeunesse par le web social

Quand il entre dans une phase de fort développement dans le monde arabe, l’internet que découvre la plus grande partie des utilisateurs est déjà celui des réseaux sociaux. Blogger.com — une des plus importantes plates-formes de création de blogs — dans un premier temps, puis Facebook sont ainsi parmi les premières grandes applications globales qui bénéficient d’une traduction en arabe (simultanément avec d’autres langues telles que l’hébreu ou le persan). Parallèlement, les tranches d’âge qui adoptent la nouvelle technologie sont naturellement, comme partout ailleurs, les plus jeunes. A cette différence près que, dans cette région du monde en passe d’achever sa transition démographique, elles réunissent dans la phase actuelle la part la plus importante de la population dont l’âge médian était estimé à 22 ans vers l’an 2000, ce qui a pour conséquence d’entraîner une sur-représentation des couches les plus jeunes par rapport aux pyramides d’âge des sociétés européennes par exemple.

Outre l’effet de mode qui explique la vitesse avec laquelle elles se répandent, les nouvelles applications « sociales » du Web 2.0 trouvent d’autant plus facilement un écho auprès des jeunes générations qu’elles sont souvent les moins contrôlées et/ou les plus disponibles. En effet, les différents systèmes de contrôle et de surveillance mis en place par la quasi-totalité des autorités locales, de plus en plus conscientes des risques que représente, de leur point de vue, la croissance des usages d’internet, se sont en grande partie développés par rapport aux expériences passées. Leur efficacité est ainsi systématiquement partiellement en défaut dans la mesure où elle a toujours un temps de retard par rapport aux nouveaux usages. La chronologie de l’opposition politique sur internet en Egypte montre bien comment les services de répression font la chasse aux sites d’information en ligne et aux listes de diffusion alors que les blogs politiques se sont déjà multipliés ; et comment ils s’en prennent aux blogueurs alors que Facebook est déjà devenue une plate-forme de mobilisation, en partie remplacée d’ailleurs par Twitter.

La Tunisie offre même un exemple inattendu des effets pervers que peut provoquer l’éternelle guerre des “chats” policiers contre les “souris” internautes. Dans la mesure où le régime de Ben Ali a voulu imposer un contrôle très strict sur le Web, en bannissant tout ce qui pouvait ressembler de près ou de loin à un site d’information, Facebook est longtemps resté le seul espace de navigation un peu ouvert, au point de rassembler près de 20 % de la population totale du pays avec 71 % d’utilisateurs compris dans la tranche d’âge des 18-34 ans. Quand les autorités ont fini par comprendre le danger que représentait, de leur point de vue, un réseau social capable de se transformer en réseau de mobilisation (alors qu’elles se glorifiaient quelques mois plus tôt, de taux d’inscription sur Facebook supérieurs à bien des pays occidentaux), il était trop tard, et c’est en vain qu’elles tentèrent alors d’en imposer l’interdiction. Sans qu’elle le sache forcément elle-même d’ailleurs, la jeunesse tunisienne, interconnectée à travers une multitude de “groupes d’amis” de Facebook, s’était inventé ses propres formes de socialisation.

La sphère publique des natifs du numérique

Deux éléments au moins caractérisent le Web 2.0 : le développement d’applications et de pratiques toujours plus centrées sur un internaute, par ailleurs lui-même de mieux en mieux équipé pour entrer en interaction avec ses pareils. En adoptant, de manière très significative dans certains cas (notamment parmi les jeunes classes urbaines scolarisées), les applications des réseaux sociaux, une partie relativement importante de la jeunesse arabe s’est trouvée en mesure de développer une identité sans nul doute assez largement en rupture, y compris dans ses implications politiques, avec celle des générations précédentes.

En l’absence d’études de terrain dont les enseignements seraient de toute manière difficile à interpréter faute d’éléments de comparaison et de recul historique, on ne peut qu’avancer, de manière très largement intuitive, un certain nombre de remarques. D’une manière générale, le développement des réseaux sociaux sur le Web 2.0 semble favoriser, plus encore que les autres « nouveaux médias », la constitution d’une sorte de sphère publique de substitution au sein de laquelle il devient possible de soulever nombre de questions d’intérêt général (autour de thématiques telles que la corruption ou les droits citoyens très présentes, on le constate aujourd’hui, dans les mots d’ordre de mobilisation).

Modifiant considérablement les frontières entre sphères privée et publique, le très rapide développement des réseaux sociaux dans certains milieux de la jeunesse arabe s’inscrit lui-même dans un processus d’individualisation repérable notamment dans la production culturelle contemporaine. Dans ce contexte, les nouvelles générations des natifs du numérique semblent de moins en moins concernés par les règles traditionnelles de dévolution de l’autorité, non seulement au sein de la famille et du système social (relations aux parents et aux modes de socialisation traditionnels au sein du quartier, de la tribu, etc.), mais également par rapport aux systèmes symboliques d’autorité. C’est vrai en particulier dans tous les domaines, profanes aussi bien que religieux où l’on constate par exemple que ces générations suivent à l’évidence des modèles qui ne sont plus ceux de leurs aînés, avec pour la jeunesse égyptienne des références où le cheikh Qardaoui, réputé conservateur, peut voisiner avec Amr Khaled, la vedette télévisuelle du soft islam ((P. Haenni, L’islam de marché, Le Seuil, 2005.)).

S’il est assez imprudent de leur imputer tous les actuels bouleversements du monde arabe, ce serait tout autant faire preuve d’aveuglement que de nier le rôle des nouveaux modes de socialisation favorisés par les réseaux sociaux du Web 2.0. Sur la scène politique traditionnelle, les liens entre les nouvelles formes d’activisme, y compris au sein d’un parti comme celui des Frères musulmans, ont été soulignés, il y a déjà plusieurs années de cela. Autour de la question de l’utilisation des nouvelles technologies et des implications de cette utilisation tant au sein de l’organisation que vis-à-vis des autres forces politiques, on a ainsi vu se distinguer deux générations de militants, l’une, plus âgée et sans doute plus autoritaire, et l’autre plus technophile et plus ouverte à une collaboration avec les autres forces en présence. Même s’il est trop tôt pour en faire l’analyse détaillée et sans présager de la formule politique à laquelle ils aboutiront, on voit bien que les mouvements qui ont amené en Egypte la chute du régime Moubarak s’inscrivent dans une logique que l’on retrouve également en Tunisie et dans les autres pays gagnés par les manifestations.

Partout, on peut faire le même constat : les forces politiques traditionnellement constituées (partis mais aussi syndicats ou associations…) ont pesé d’un poids très relatif. Assez éloignées, lors de la phase insurrectionnelle en tout cas, de tout agenda politique inscrit dans une ligne idéologique précise, les revendications ont au contraire exprimé un ensemble de demandes d’ordre très général. Largement provoquée par un ensemble de facteurs en somme assez classiques, la crise arabe, née de l’absence de solutions sociales et économiques, a certainement été rendue plus aiguë encore par l’immobilisme politique. La manière dont cette crise a fini par éclater, et plus encore les voies par lesquelles les protestations ont fini par imposer leur volonté de changement, montrent cependant que le monde arabe, peut-être plus rapidement que d’autres sociétés du fait du poids de sa jeunesse, a changé d’époque. Il est désormais habité par une nouvelle culture politique que l’essor des réseaux sociaux numériques non seulement accompagne mais aussi, fort probablement, renforce.

Billet initialement publié sur le blog Culture et politique arabes

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Crédits photo: Flickr CC Witness.org, John Kannenberg, The G, rosefirerising

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Dans quelle ère numérique vivons-nous? http://owni.fr/2010/12/16/dans-quelle-ere-numerique-vivons-nous/ http://owni.fr/2010/12/16/dans-quelle-ere-numerique-vivons-nous/#comments Thu, 16 Dec 2010 17:26:54 +0000 Yann Leroux http://owni.fr/?p=39404 On désigne par “chasseurs-cueilleurs” des groupes d’humains vivant de chasse, de pèche, de cueillette ou du charognage. Ils utilisent les ressources immédiatement disponibles dans la nature. La notion vient des travaux des préhistoriens qui opposaient ce mode de vie à celui du pastoralisme.

Vere Gordon Childe a nommé “révolution néolithique” le passage de l’économie de la chasse et de la cueillette à une économie basée sur l’agriculture et le pastoralisme. Cette révolution néolithique transforme de petites communautés humaines en des ensembles plus vastes, contenus dans l’enceintes des villes, et bientôt régulées par des règlements et des lois écrites

Examinant les communautés en ligne, Lee Komito les rapproche des premières communautés humaines de chasseurs-cueilleurs. Il décrit des groupes de taille variable, s’agrégeant au fil des saisons, se déplaçant pour trouver des ressources. Ce nomadisme les oblige à avoir peu de bien matériels. Au nomadisme des groupes s’ajoute celui des individus qui n”hésitent pas à aller de groupe en groupe. Ces communautés sont temporaires, puisqu’il n’y a pas de sentiment d’un bien commun ou d’une identité collective. L’idéologie de ces groupes est égalitaire : chaque individu obtient du prestige en fonction de ses habilités. Les leaders émergent par la force de leur exemple. Les conflits sont gérés au travers de duels qui ritualisent la violence. La plupart du temps il s’agit de disputes orales où l’on tente de moquer ou d’humilier l’autre.

Pas de fidélité au groupe

Lee Komito voit entre les communautés de chasseurs-cueilleurs et les communautés en ligne des ressemblances frappantes. En ligne, l’idéologie dominante est l’égalitarisme. Personne ne peut imposer sa volonté à personne, et les groupes ne peuvent pas s’appuyer sur une autorité centrale. Les conflits y sont réglés par la recherche de consensus ou des joutes orales. La fidélité à un groupe est inexistante. Les individus vont d’un groupe à l’autre sans être vraiment attaché à aucun. Beaucoup de groupes en ligne n’ont pas de frontières stables, et il peut être difficile de savoir qui s’y trouve et qui ne s’y trouve pas.

Lee Komito remarque que certains groupes peuvent avoir une autorité centrale (par exemple le modérateur). Ces groupes développent un sentiment d’appartenance, une distinction entre les membres du groupes et les autres et des buts partagés. Cependant, le modèle des communautés de chasseurs-cueilleurs lui semble suffisamment intéressant. En effet, dans les deux cas, les communautés peuvent s’avérer incapables de mettre fin à un comportement anti-social ou d’imposer des limites à leurs membres. D’ou la question :

Est ce que les individus d’aujourd’hui vont à la cueillette de l’information comme ceux d’hier allaient à la recherche de nourriture?

Lorsque l’on jette un regard sur les communautés en ligne, le parallèle de Lee Komito est frappant. Nous passons notre temps à glaner des informations, à les stocker dans des silos individuels (les favoris) ou collectifs (les sites de social bookmarking). Certains d’entre nous les transforment en bloguant ce qu’ils trouvent tandis que d’autres transmettent tels quels en les propulsant (forward) auprès de leur propre communauté sociale.

Plusieurs temporalités

Cependant, le parallèle appelle au moins deux réserves. La première est que Lee Komito est victime de l’illusion anthropologique de Childe. Childe considérait en effet que l’on pouvait situer les différentes communautés sur une ligne de temps. Les chasseurs-cueilleurs seraient les communautés les plus archaïques et elles seraient remplacées par les communautés pastorales et agricoles qui inventent la loi, l’écriture, la ville. Childe considérait par ailleurs que les communautés actuelles de chasseurs-cueilleurs étaient identiques au communautés préhistoriques ce qui permettait de les repérer comme des vestiges infantiles de l’histoire de l’humanité.

Bien évidement, dans cette perspective, les occidentaux correspondraient aux stades les plus avancés du développement de l’humanité. Enfin, nous savons maintenant que les communautés de chasseurs-cueilleurs ne sont pas dans l’état de dénuement que décrit Childe. Elles ne meurent pas de faim, elles ne sont pas livrées a l’arbitraire des désirs individuels et elles consacrent au contraire beaucoup de temps à la culture.

L’image reste cependant forte et elle est toujours utile pour penser le cyberespace. Il faut juste préciser que le cyberespace n’est pas dans une mais dans plusieurs temporalités. Nous sommes quelques part entre les communautés de chasseurs-cueilleurs et les premières villes mésopotamiennes inventées il y a 6.000 ans. La densification des liens produits par le mouvement du web 2.0,  la massification des données partagées grâce à la téléphonie mobile et  l’ouverture des silos de données produits par les villes est similaire à l’urbanisation de la Mésopotamie. On retrouve ici la “révolution urbaine” dont parlait Childe.

Prochaine étape: la ville numérique

L’urbanité modifie les communautés. Elle ordonne l’espace et les personnes dans un même mouvement : des quartiers regroupent des métiers tandis que certains espaces sont dévolus à l’habitat., au commerce, à la vie religieuse.. La ville crée également  la campagne qui l’alimente en matières premières qu’elle transforme en objets relativement identiques dans ses ateliers. L’organisation politique y est plutôt despotique.

Certains forums ont déjà un fonctionnement qui s’apparente à celui des villes mésopotamiennes. Ils sont subdivisés en sous-forums qui sont autant de quartiers. Par exemple, les forums officiels de World Of Warcraft sont subdivisés en fonction de fa faction (horde ou alliance), de la classe du personnage, de sa race. Il existe des forums généraux ou le mélange est possible, et d’autres très spécialisés. Certains fonctionnent comme des ateliers qui produisent des objets – par exemple des macros utilisables dans le jeu – diffusables en masse. Ce n’est pas tout à fait une ville, parce que le forum est organisé défensivement contre l’extérieur. Tout est fait pour que les membres du forum restent sur place. L’étape suivante, la ville numérique, sera atteinte lorsque les forums et les sites de réseaux sociaux se découvriront des campagnes.

Au niveau politique, le forums sont organisés autour de la figure d’un despote, comme l’étaient les premières villes. Cette figure est généralement incarnée par le fondateur du forum qui a sur l’espace du groupe et ses membres tous les droits. Il inclut et exclut, il peut supprimer des messages ou les modifier. Il peut modifier des membres ou les supprimer. Au fil du temps, une nouvelle caste émerge de la masse des utilisateurs. Ce sont les modérateurs qui  et ils empruntent au Fondateur ses attributs jusque parfois les droit de détruire la communauté.

Les sites de réseaux sociaux permettent d’éviter cette organisation politique en l’horizontalisant. Chacun est son propre despote. Chacun décide avec qui il se lie et parfois qui peut se lier à lui. Chacun peut éditer ses messages ou les supprimer. Chacun peut décider de ce qui apparait ou non sur son propre espace. La maitrise donnée aux individus est a la mesure de l’éclatement de l’espace social.

Espaces de bricolage

Dans le cyberespace, la production en masse est facilitée par le copier-coller. Les ateliers sont principalement le fait de designers qui produisent des templates et autres skins pour les blogues ou les avatars. Plus le  template est individualisé, plus il est précieux et donc cher. Vous pouvez facilement avoir un template gratuit pour votre blogue WordPress, mais il vous en coutera de l’argent pour avoir quelque chose (de bien)  fait par 53 Mondays ou Reduplikation. Certains sites fonctionnent comme des ateliers à codes qui fournissent plugins et autres compléments. Par exemple Mozilla fournit des compléments pour son navigateur Firefox. La production et l’utilisation de ces compléments est régulée par la licence Creative Commons qui est le Code d’Hammurabi du cyberespace.

Les subbers qui prennent en charge une matière numérique et la modifient en ajoutant des sous titres sont un autre exemple du travail artisanal qui peut se faire en ligne. D’une manière générale, les mondent numériques restent des espaces de bricolage. La révolution industrielle numérique est encore à venir. On en a tout de même quelques prémices  avec la mise en place d’un prolétariat mine les mondes numériques au profit d’une bourgeoisie. Les farmeurs chinois nous montrent que Germinal est déjà là : eux travaillent sang et eau pour que d’autres puissent jouer.

En ligne, nous ne sommes donc pas seulement à l’époque du basculement dans l’ère néolithique. Nous avons des fonctionnements qui témoignent de différentes temporalités et sociabilités qui vont des chasseurs-cueilleurs aux cités mésopotamiennes. Le mouvement vers l’industrialisation est en marche si l’on en croit le développement d’applications qui bornent le web comme les enclosures ont borné les champs.

Ce billet a initialement été publié sur Psy et Geek

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Crédits photo: Flickr CC Lord Jim, webtreats, peasap

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http://owni.fr/2010/12/16/dans-quelle-ere-numerique-vivons-nous/feed/ 9
Comment et quand mettre sa musique à disposition http://owni.fr/2010/12/16/comment-et-quand-mettre-sa-musique-a-disposition/ http://owni.fr/2010/12/16/comment-et-quand-mettre-sa-musique-a-disposition/#comments Thu, 16 Dec 2010 09:53:57 +0000 Toc-Arts http://owni.fr/?p=28852 Ce billet, rédigé par Liliou pour le site Toc-Arts prouve que certains principes d’hier valent encore aujourd’hui. Il a écrit, en tant que musicien, passionné par les nouveaux usages liés au web, sur ses expériences et ses observations.

Je l’ai dit et redit : barricader sa musique ne sert à rien, internet est un réseau et une musique écoutable est toujours copiable d’une manière ou d’une autre. D’autre part, le “pire-ratage” pour les artistes ce n’est-il pas d’être ignoré ? Donc plutôt que de lutter contre la copie, mieux vaut l’utiliser.  Nous allons réfléchir ici à quelques stratégies pour mettre sa musique en téléchargement et la diffuser de façon intelligente.

Où mettre sa musique en téléchargement ?

Il faut que vous soyez là où votre public est déjà:

plateformes d’écoute en ligne: itunes, jamendo, last.fm, deezer, spotify, soundcloud. Ce sont des lieux dédiés à l’écoute de musique. Il y a beaucoup de choix et cela peut être dur d’être repéré, mais c’est quand même important d’être présent pour vous donner une chance d’être écouté.

réseaux sociaux: myspace, facebook, skyblogs, twitter… Ce sont des lieux de passage, de discussion et de détente importants, comme les cafés en ville. Vous pouvez toucher beaucoup de gens ici. Mais comportez vous de manière sociale. Il ne vous viendrait pas à l’idée de rentrer dans un café et de bombarder aveuglément tout le monde avec vos prospectus ou de leur crier dans les oreilles que votre musique est la meilleure. Comme dans la vie réelle, repérez les personnes les plus susceptibles d’être intéressées et/ou de relayer vos infos, puis engagez la discussion.

réseaux p2p: BitTorrent, Emule, … ce sont des lieux ou les gens téléchargent de la musique. Cela peut donc être intéressant d’y être et d’y placer certains morceaux. L’écrivain Paolo Coehlo s’est piraté lui même avec un certain succès. N’oubliez pas de mettre des infos sur le groupe et un lien vers le site dans la description du fichiers et aussi dans l’archive contenant la musique, ça permettra aux gens de revenir vers vous plus facilement.

site de partage de vidéos: youtube, dailymotion. Un autre endroit populaire et de rencontre que de plus en plus de gens utilisent. En plus le fait d’avoir des images ou vidéos apporte un plus à la musique. Pas besoin d’avoir forcement une vidéo hyper léchée (vous pouvez faire un diaporama ou mettre une vidéo de concert) mais attention par contre à avoir un son correct, sinon vous ferez fuir tout le monde. Essayez surtout d’être originaux (Voir des conseils pour créer une vidéo virale).

sites de diffuseurs: les blogueurs, … ils sont intéressés par la musique et veulent vous aider à diffuser la votre. Il y a aussi de nombreux blogueurs qui partagent leurs goûts en ligne. Repérez les prescripteurs qui sont susceptibles d’être intéressés par votre son et envoyez leur un message personnalisé (et non un copier/collé) avec un moyen d’écouter votre musique. S’ils aiment ils vous feront beaucoup de promotion !

web radios: une piste que je n’ai jamais explorée, mais je pense qu’il doit y avoir un filon ici: démarcher des webradios et leur proposer de découvrir votre musique pour qu’elles la diffuse. Certaines webradios ont des auditeurs très fidèles et très à l’affût de nouveautés.

votre site web / blog: le point central de votre stratégie de diffusion. Votre musique doit être absolument facile à écouter (et éventuellement à télécharger). Ça semble évident, mais de nombreux sites de musiciens ne proposent pas ou peu de musique à écouter. Pour avoir souvent galéré à chercher à écouter des morceaux sur des sites d’artistes, il m’arrive maintenant de chercher directement le myspace d’un artiste pour être sur de pouvoir écouter sa musique sans tourner en rond. Choisissez une solution qui fonctionne sur la plupart des navigateurs et ne nécessite pas de plugins spéciaux pour écouter.

dans la salle de concert: proposez aux gens de repartir d’un avec un ou plusieurs de vos morceaux de l’album ou bien de l’enregistrement du live sur leur clé USB. Ils viennent d’entendre la musique, ils ont aimé, si vous leur donnez du matériel, il y a de grandes chances qu’ils continuent à la faire tourner sur leur platines chez eux, la fassent découvrir à leur entourage et continuent à danser .

Quelles stratégies pour la diffusion ?

Je trouve dommage de surprotéger sa musique, autant je trouve aussi dommage de mettre sa musique en téléchargement sans réfléchir avant à une façon de le faire. Il y a pour moi deux idées clés à garder en tête dans une stratégie de diffusion:

La première idée, c’est de tout faire pour faciliter l’appropriation et la diffusion de votre musique par vos fans. Les gens qui vous aiment peuvent et veulent vous aider de multiples façons. Aidez les à vous aider.

La deuxième idée, c’est d’être en contact avec vos fans, parler, écouter, discuter, échanger. Comme vous, ce sont des êtres humains qui aime discuter avec ceux qu’ils apprécient et avoir des nouvelles de temps en temps. Arrêtez le monologue, soyez à l’écoute et engagez une vraie discussion. Vous serez étonné de toutes les choses intéressantes que vous découvrirez.

Quelles stratégies pour mettre de la musique en téléchargement ?

simple téléchargement libre: le plus simple, les gens écoutent en ligne ou téléchargent. Le format doit être mp3 (universel) mais vous pouvez aussi proposer une qualité supérieure (formats wave ou ogg). Les gens prennent, peuvent copier sur leurs baladeurs mp3, téléphones et échanger avec leurs amis.

téléchargement après inscription: vous demandez aux gens qui téléchargent leur contact et quelques informations avant de les laisser télécharger. C’est ce que fait Nine Inch Nails. Cela permet de se constituer un carnet d’adresses important et d’annoncer ses nouveautés (nouveaux morceaux, nouveaux concerts, …) à un public ciblé.

mettez des morceaux complets, pas des extraits: Un extrait est frustrant. Si on aime, on veut l’écouter jusqu’au bout et le partager. Une chanson complète aura des chances d’être copiée et donnée à des amis. En revanche il y a peu de chances qu’un extrait soit diffusé, car ça vaut rarement le coup.Même si vous ne voulez pas mettre beaucoup de musique en téléchargement, mettez au moins une chanson complète.

créer un widget pour promouvoir une diffusion virale: la musique est écoutable en ligne, les fans peuvent l’importer sur leurs pages, blogs, … et vous gardez le contrôle de la diffusion (choix des titres, ….). En outre vous pouvez rajouter d’autres médias, images, vidéos, news pour le rendre plus attrayant et plus utile (Pour en savoir plus sur l’utilité des widgets pour les artistes).

sortir des news à intervalles réguliers: rien de tel pour garder le contact, les fans savent à quoi s’attendre et reviennent vous voir, ne vous oublient pas. Rien de pire que de faire une grosse com’ puis de tous laisser tomber au bout de 3 mois sans donner de nouvelles. On revient une ou 2 fois sur le site, puis quand on voit que rien ne bouge, on se dit que le groupe est mort et on passe à autre chose.

• sortir des épisodes musicaux à intervalle réguliers: regarder la stratégie originale de Uniform motion pictures, c’est simple, c’est bon esprit et c’est bien fait. Ça donne envie de faire découvrir à d’autres. L’idée ici c’est de « casser » le format CD, 10-12 titres, sur un album qui ne sort que tous les ans au mieux, sortir de la musique sur la durée, avec un format original (vidéo + graphisme) suscite la curiosité des fans et aide à conserver l’intérêt dans la durée.

originalité, remix, détournements, humour, … le public aime les surprises, les idées originales, regardez les points qui vous caractérise et utilisez les pour vous différencier des autres. Chacun est unique. Jouer avec vos forces, mais aussi vos faiblesses…

observez et écoutez: regardez les statistiques de musiques écoutées et téléchargées, les vues de vidéos. Écoutez ce que les gens disent ou demandez leur directement.

J’ai mis beaucoup de possibilités dans cet article. Certaines fonctionneront mieux pour certains artistes que pour d’autres. A vous de faire vos choix et vos essais. Combinez certaines de ces stratégies selon vos besoins et vos capacités pour maximiser vos chances de toucher vote public. L’idée générale étant de tisser un filet sur internet en étant partout où les auditeurs passent ou s’arrêtent pour permettre à « ceux qui ne savent pas encore qu’ils adorent votre musique » de la découvrir.

Vous avez déjà essayé certaines choses dans ce sens ? Vous pensez à d’autres idées ?

Cet article a été initialement publié sur: toc-arts sous le titre “Quelles stratégies pour mettre sa musique en téléchargement?

crédits photos: FlickR CC: Ol.v!er; Jonhatan Assinks ; butterflyfootsie

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http://owni.fr/2010/12/16/comment-et-quand-mettre-sa-musique-a-disposition/feed/ 6
Information internationale en recul, repli identitaire? http://owni.fr/2010/11/08/information-internationale-en-recul-repli-identitaire/ http://owni.fr/2010/11/08/information-internationale-en-recul-repli-identitaire/#comments Mon, 08 Nov 2010 13:32:03 +0000 Cyrille Frank http://owni.fr/?p=34883 Une étude d’une association britannique, The Media Standards Trust, révèle le déclin du traitement de l’information internationale dans la presse britannique. Un phénomène relevé par Rue89 qui estime qu’en France, il en serait de même.

De quoi parle-t-on exactement?

L’information internationale, est-ce seulement le traitement d’un événement provenant de l’étranger quel qu’il soit ? Ou parle-t-on des domaines “nobles” du journalisme : la politique, économie, société au plan international ?

Le distingo est important car j’ai constaté de manière empirique une augmentation du traitement des faits étrangers d’ordre insolite, people, spectaculaire. Ainsi pour ne citer qu’un exemple, les frasques de Berlusconi bénéficient en France d’une assez belle couverture, de même que les bourdes de notre président sont elles-mêmes assez bien relayées à l’étranger.

On peut faire cette même remarque s’agissant d’ailleurs de la couverture politique. Comme le constate fort justement Nicolas Vanbremeersch (Versac), le “syndrôme Raphaelle Bacqué” se développe en matière politique. Les coulisses, les relations intimes entre personnalités (à l’image du best seller “Sexus Politicus”), les petites phrases, les intrigues et coups bas… ce genre de traitement tend lui, à se développer dans l’information.

Un recul de l’information sérieuse

Mon intuition de lecteur régulier de la presse et d’ancien rédacteur en chef de l’actualité d’un grand portail (AOL) me permet de donner raison à Pierre Haski de Rue89, sans trop de risque.

Oui le traitement de l’information internationale se réduit, tout comme tous les sujets “eyebrow”, comme disent les anglais, les sujets sérieux qui font lever le sourcil.  J’en ai été moi-même l’instigateur autant que la victime. Comment expliquer ce phénomène ?

La course à l’audience naturellement dans un univers hyper-concurrentiel où les cinq premiers du classement Nielsen récupèrent 70 à 80% des budgets publicitaires des grandes marques. Ceci dans un contexte où le CPM (coût par mille) est au minimum dix fois plus faible qu’en presse papier, à la fois pour des raisons historiques (les éditeurs ont bradé leur inventaire Internet, car c’était le cerise sur le gâteau) et structurelles (explosion de l’offre qui a tiré les tarifs publicitaires à la baisse).

La frilosité des dirigeants Internet. Pas de risque, pas d’innovation. On se concentre sur les valeurs sûres d’audience : faits divers, people, insolites, spectaculaire. D’où ce phénomène de mimétisme des lignes édito qui finissent par se ressembler toutes plus ou moins. On retrouve ce manque de prise de risque en télévision où TF1 préfère acheter des séries américaines qui ont fait leurs preuves ailleurs que d’investir dans des productions françaises, à la différence de Canal+ , qui a retourné cette contrainte légale en force de différenciation et de recrutement d’abonnés.

Une tendance sociologique de fond. Le divertissement, le plaisir prennent de plus en plus d’importance (voir ou revoir l’excellent et prémonitoire Wall-E) dans notre société. avec en contrepoint l’évitement de l’effort, de la contrainte et de l’anxiogène. Même le fait divers cède un peu du terrain face au LOL, au rire d’évitement, d’oubli.

Une adaptation conjoncturelle. La crise est passée par là. La majeure partie des gens voient leurs revenus stagner ou régresser. Et surtout leurs conditions de vie se dégradent. Augmentation de la précarité du travail (CDD, interim, freelance…), augmentation des temps de transport (dans des conditions de plus en plus mauvaises, par manque de renouvellement des équipements collectifs liés à un désinvestissement public progressif), baisse de la qualité des services publics ( plus les moyens budgétaires)…

Un repli réflexe

Face à ces difficultés réelles, les individus se recentrent sur eux-mêmes, leurs famille proche, leurs amis. Bien sûr, avec Facebook, ils s’amusent à avoir 130 amis ou plus. Mais en réalité, ils ne discutent toujours qu’avec les 10 ou 15 mêmes, comme le rappelle Cameron Marlow,  le sociologue maison de Facebook dans une étude relayée par Readwriteweb

Pour pouvoir s’intéresser à des choses supérieures, il faut être déjà dégagé de ses contraintes primaires (manger, se vêtir, se loger : se rappeler la toujours probante pyramide de Maslow)

C’est bien la raison pour laquelle, ce sont les classes supérieures, bourgeois, aristocrates, clercs qui ont fomenté la révolution française. Ils étaient bien les seuls qui pouvaient se permettre d’y penser, et pouvaient prendre le risque (indépendamment du capital culturel qu’ils avaient accumulé grâce à la lecture des Lumières sous Louis XV). Le peuple lui, n’en a été que le bras armé et finalement aussi long à se révolter que dur à calmer par la suite.

Il faut ajouter aux problèmes matériels, une inquiétude protéiforme et diffuse vis à vis de la mondialisation, l’avenir, les technologies qui nous échappent. Un désaveu du politique corrompu et impuissant face aux organismes internationaux qui les détrônent (ONU, OMC, Bruxelles…). Sans oublier les technologies qui s’emballent, si difficiles à suivre et finalement anxiogènes pour beaucoup. En témoignent les réactions de rejet y compris parmi les élites traditionnelles (Séguéla, Minc, Finkielkraut…)

Autant de facteurs d’instabilité psychologique qui expliquent les mécanismes de repli, dont la xénophobie est d’ailleurs l’une de ses manifestations les plus détestables.

L’évasion hédoniste et le repli identitaire, communautaire ou xénophobe, ont des fondements à la fois conjoncturels et structurels qu’encouragent parfois avec une certaine irresponsabilités des médias aux abois. Il est temps de rééquilibrer les choses et de ne pas céder à la facilité. Les internautes, tels des enfants gavés d’infos acidulées pourraient nous reprocher plus tard notre démagogie intéressée…

Ce billet a initialement été publié sur Médiaculture, le blog de Cyrille Frank

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Crédits photo: Flickr CC pedrosimoes7, micora

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La crise belge par les data http://owni.fr/2010/09/09/la-crise-belge-par-les-data/ http://owni.fr/2010/09/09/la-crise-belge-par-les-data/#comments Thu, 09 Sep 2010 18:05:35 +0000 Nicolas Kayser-Bril http://owni.fr/?p=27127 « Préparons-nous à la fin de la Belgique ! » C’est en substance ce qu’on déclaré les leaders francophones ces derniers jours, un refrain que les Flamands entonnent depuis déjà quelques décennies. Faut-il couper la Belgique parce que ces entités constituent des nations différentes, ou bien faut-il se préparer à construire de toutes pièces de nouvelles identités pour remplacer la belge ?

Laissons parler les données. Nous avons mis en place une application permettant de comparer les chiffres relatifs aux trois régions belges (Flandre, Wallonie et Bruxelles-capitale) sur certains thèmes.

Sur certains aspects, on constate de fortes disparités. L’impôt fédéral payé par habitant, par exemple, est 25% supérieur en Flandres par rapport à la Wallonie. Résultat, la solidarité nationale peut apparaître à sens unique, les Flamands payant 1,2 milliards d’euros transférés sous forme de ‘rééquilibrage’ aux francophones.

Et pourquoi les Wallons payent-ils moins d’impôts ? Parce qu’ils travaillent moins! Le taux d’activité (ceux au travail + ceux cherchant un emploi) est de près de 10 points supérieur en Flandre. On comprend mieux ainsi ce sur quoi repose le ressentiment des Flamands.

Pas la peine de stigmatiser les Flamands en les traitant de « populistes égoïstes » pour autant, comme on peut le lire dans les colonnes du Monde. Leurs revendications font échos à des problèmes réels, pour lesquels ils considèrent que les solutions proposées ne suffisent pas. On ne peut pas en dire autant de la frénésie anti-gitans qui sévit en France, où des politiques, soutenus par une bonne partie de la population, s’en prennent à un groupe pour des motifs totalement farfelus et dénués de réalité statistique (« ils ont des trop grosses voitures ! »)

Les Belges ne se marient pas non plus entre eux. Moins de 0,5% des mariages belges concernent des relations entre résidents flamands et wallons. (Cette statistique a été compilée en fonction des lieux de résidence, pas de naissance, si bien qu’un Flamand vivant en Wallonie puis s’y mariant à une Wallonne n’est pas comptabilisé). Cela reste environ 6 fois moins que le nombre de mariages conclus entre un Belge et un étranger ! Pour donner un élément de comparaison, cela correspond plutôt au taux de mariages entre Français et Britanniques (source INSEE).

In Potjevleesch we trust

Malgré ces écarts flagrants, les Belges restent soudés autour de valeurs… belges. Loin d’être anodins, les habitudes de consommation sont étrangement similaires. Si vous regardez l’onglet “consommation” de l’appli, vous verrez que les différences entre Flandre et Wallonie ne divergent jamais de plus de 10%.

Si l’on s’intéresse à la charcuterie, par exemple, on constate que l’on dépense sans compter des deux côtés de la frontière linguistique : 475€ en Flandre et 468€ en Wallonie par an et par ménage. Bruxelles, avec tous ses étrangers eurocrates qui ne comprennent rien au filet américain, au filet d’Anvers ou aux pâtés queue de charrue, ne dépense qu’un maigre 300€, tout comme les Français (357€ selon l’INSEE [XLS]).

Et Bruxelles ?

En plus d’être la plus importante des capitales de l’Union Européenne, Bruxelles est à la fois la capitale de la région flamande et la principale ville francophone. Véritable nœud gordien des relations entre communautés linguistiques, la ville semble être au cœur des revendications des uns et des supplications des autres.

L’application permet de choisir où vous souhaitez voir Bruxelles : indépendante, wallonne ou flamande. On constate qu’en dehors du tourisme, où Bruxelles et la Flandre concentrent la majeure partie des nuitées, et du nombre d’étrangers, faire varier l’appartenance de la ville vers l’une ou l’autre région n’influence que peu les équilibres.

On pourrait penser que cet état de fait tient à la relative pauvreté de la ville. Son centre, loin d’exulter de richesses comme à Trafalgar Square ou à la Concorde, fait plutôt penser à une ville post-socialiste ayant raté sa reconversion. Comparée à Anvers, principale ville de Flandre, Bruxelles n’attire pas l’oeil. Plus pauvre relativement au nombre d’habitants, c’est à se demander pourquoi son statut importe tant aux deux camps.

La raison tient au découpage anachronique des frontières administratives. Tout comme il est inconcevable de limiter Paris à ce qu’on trouve à l’intérieur du périphérique, la région Bruxelles-Capitale souffre d’atrophie sur ses 160 km² (à peine 50% de plus que Paris intra-muros). Prise dans son ensemble, la métropole bruxelloise retrouve l’étoffe d’une ville d’importance mondiale, produisant le quart de la richesse belge.

Le problème de la ville tient à son corset flamand : l’arrondissement Bruxelles-Hal-Vilvorde (BHV), situé en Flandre, accueille l’expansion territoriale de la capitale et concentre en particulier ses plus gros contribuables qui, à la manière d’une ville américaine, délaissent le centre. Bruxelles se trouve ainsi à cheval entre la Flandre et la région Bruxelles-Capitale, ce qui ne facilite pas la division du pays et explique pourquoi la scission de BHV monopolise depuis plus de 3 ans la vie politique du pays.

Notre dossier, qui accompagne cette application, est constitué de trois articles de blogueurs belges qui nous plongent dans l’actualité de leur pays. Qui n’en est plus un ?

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http://owni.fr/2010/09/09/la-crise-belge-par-les-data/feed/ 15
Le logiciel libre et le mythe de la méritocratie http://owni.fr/2010/01/02/le-logiciel-libre-et-le-mythe-de-la-meritocratie/ http://owni.fr/2010/01/02/le-logiciel-libre-et-le-mythe-de-la-meritocratie/#comments Sat, 02 Jan 2010 14:04:28 +0000 aKa (Framasoft) http://owni.fr/?p=6623 Banoootah - CC byEn janvier 2008, Bruce Byfield écrivait, dans un article que nous avions traduit ici-même (Ce qui caractérise les utilisateurs de logiciels libres) : « La communauté du Libre peut se targuer d’être une méritocratie où le statut est le résultat d’accomplissements et de contributions ».

Deux ans plus tard, le même nous propose de sonder plus avant la véracité d’une telle assertion, qui ne va finalement peut-être pas de soi et relève parfois plus du mythe savamment auto-entretenu.

Et de poser en guise de conclusion quelques pertinentes questions qui si elles trouvaient réponse participeraient effectivement à combler l’écart constaté entre la théorie et la pratique.

Nos propres discours n’en auraient alors que plus de consistance et de maturité[1].

Les projets open source et le mythe de la méritocratie

Open Source Projects and the Meritocracy Myth

Bruce Byfield – 2 décembre 2009 – Datamation
(Traduction Framalang : Olivier et Cheval boiteux)

« Ce n’est pas une démocratie, c’est une méritocratie. »

On trouve cette déclaration sur la page de gouvernance d’Ubuntu, mais les notes de version de Fedora présentent quelque chose de similaire, tout comme la page Why Debian for developers et partout où l’essence des projets libres et open source (NdT : FOSS) est débattue.

La méritocratie est un mythe, une de ces histoires que la communauté des logiciels libres et open source aime se conter. Par mythe je n’entends pas mensonge, mais cette méritocratie est une histoire que les développeurs se racontent à eux-mêmes pour les aider à se forger une identité commune.

En d’autres termes, l’idée que les logiciels libres et open source sont une méritocratie est aussi vraie que de dire que les États-Unis sont une terre d’opportunité, ou que les scientifiques sont objectifs. Pour les membres de la communauté des logiciels libres et open source cette idée est primordiale dans leur perception du système et leur perception d’eux-même, car ils ont foi en cette idée que le travail est récompensé par la reconnaissance de leurs pairs et l’attribution de plus de responsabilités

Afin de perdurer, il faut que le mythe renferme une part de vérité, et ainsi personne ne le remet en question. Des exceptions peuvent survenir, mais elles seront justifiées, voire niées.

Cependant, si les mythes de la communauté ne sont pas des mensonges, ils ne révèlent pas toute la vérité non plus. Ils sont souvent des versions simplifiées de situations bien plus complexes.

La méritocratie dans les logiciels libres et open source n’échappe, à mon avis, pas à ce constat. Selon le contexte, si vous contribuez dans un bon projet et faites les choses biens, l’aspect méritocratique des logiciels libres et open source s’ouvrira à vous, c’est souvent le cas.

Mais de là à dire que les communautés ne fonctionnent qu’au mérite, il y a un pas que je ne franchirai pas. Le mérite n’est qu’un facteur à prendre, parmi tant d’autres, le mérite seul ne vous accordera ni reconnaissance, ni responsabilités. Bien d’autres considérations, souvent ignorées, entrent en jeu.

Hypothèses contestables

En invoquant l’argument du mérite on tourne rapidement en rond, c’est l’un des problèmes d’une méritocratie. Une hiérarchie est déjà établie, oui, mais comment ? Au mérite. S’ils n’avaient pas de mérite, ils n’auraient pas leur place.

Pas besoin de chercher bien loin pour voir que seul le mérite ne compte pas dans la hiérarchie des logiciels libres et open source. Les fondateurs du projet, en particulier, ont tendance à conserver leur influence, peu importe l’importance de leurs dernières contributions… si tant est qu’ils contribuent toujours au développement.

Par exemple, lorsque Ian Murdock fonda Progeny Linux Systems (entreprise pour laquelle j’ai travaillé) en 2000, il n’avait pas participé au projet Debian depuis quelques années. Et malgré cela, lorsque l’entreprise s’intéressa à Debian, son statut n’avait pas bougé. Tout portait à croire qu’il n’allait pas s’impliquer personnellement dans le projet et pourtant, s’il n’avait pas refusé la proposition, on lui aurait malgré tout attribué le titre de Debian Maintainer sans passer par le processus habituel.

Plus récemment, Mark Shuttleworth est devenu dictateur bienveillant à vie pour Ubuntu et Canonical, non pas à cause de ses contributions aux logiciels libres, mais parce qu’il disposait de l’énergie et de l’argent pour se propulser à ce rang. Sa position au sein d’Ubuntu ou de Canonical n’est pas remise en cause, mais toujours est-il qu’elle ne doit rien au mérite (au sens où l’entend la communauté), mais plutôt à son influence.

Et les leaders ne sont pas les seuls à gagner de l’influence pour des raisons autres que leur mérite. Dans les projets où certains contributeurs sont rémunérés et d’autres bénévoles, les contributeurs rémunérés ont presque toujours plus d’influence que les bénévoles. Dans certains cas, comme sur le projet OpenOffice.org, les contributeurs salariés peuvent presque entièrement éclipser les bénévoles.

D’autres projets, comme Fedora, repartissent l’influence plus équitablement, mais les contributeurs payés occupent souvent des postes à responsabilité. Par exemple, des dix membres du comité d’administration de Fedora, sept sont des salariés de Red Hat. Idem pour openSUSE où trois des cinq membres du comité sont des employés de Novell, le principal sponsor du projet, et un autre est consultant spécialisé dans les produits Novell. Et la situation est similaire dans bon nombre d’autres projets.

Alors oui, vous allez me dire que les membres payés ont plus de temps à accorder à ces responsabilités. C’est juste, mais ce n’est pas le sujet. Le fait est que les membres payés occupent statistiquement plus de postes à responsabilité que les bénévoles. Et c’est toute le postulat de départ qui est remis en cause, on constate alors que votre statut dans le projet n’est pas directement déterminé par votre mérite.

D’autres moyens de se faire remarquer

La méritocratie semble être le système parfait en théorie. Mais le fait est que la théorie est rarement mise en pratique. Avant de le reconnaître, encore faut-il déjà définir ce qu’est le mérite, la communauté des logiciels libres et open source ne fait pas exception.

Bâtie sur le code, la communauté des logiciels libres et open source valorise principalement la capacité à coder, bien que les plus gros projets soient beaucoup plus variés : tests, rédaction de la documentation, traduction, graphisme et support technique. De nombreux projets, comme Fedora et Drupal, évoluent et tentent de gommer cet a priori, mais cela demeure vrai pour la plupart des projets. Ainsi, les noms connus dans les projets ou les personnes qui font des présentations lors des conférences sont majoritairement des développeurs.

Cet a priori est cependant justifié. Après tout, sans le code, le projet de logiciel libre ou open source n’existerait pas. Et pourtant, le succès du projet dépend autant des autres contributions que du code lui-même.

Et comme le fait remarquer Kirrily Robert, blogueur chez Skud, même si certaines contributions sont moins estimées que d’autres, ça n’est pas une raison de les occulter complètement.

Par exemple, la personne la mieux placée pour écrire la documentation pourrait bien être le chef du projet, mais peut-être alors a-t-il mieux à faire que de rédiger la documentation. Il vaut peut-être mieux qu’une autre personne, même moins douée, rédige la documentation. Dans ce cas, celui qui écrit la documentation devrait être remercié, non seulement pour son travail, mais aussi parce qu’il libère l’emploi du temps du chef du projet. Et pourtant ceci est rarement reconnu dans les projets de logiciels libres ou open source.

L’idée que le mérite soit remarqué, reconnu et recompensé est rassurante dans notre culture industrielle moderne. J’aurai même tendance à penser que c’est encore plus rassurant dans le cercle des logiciels libres et open source, dont de nombreux membres admettent être introvertis, voire même se diagnostiquent eux-mêmes comme étant victime du syndrome d’Asperger.

Mais le mérite est-il toujours reconnu dans les logiciels libres et open source ? Voici ce que Noirin Shirley écrit à propos des obstacles à franchir par les femmes pour participer à cet univers :

Souvent, les valeurs reconnues dans une méritocratie deviennent rapidement le couple mérite/confiance en soi et obstination, dans le meilleur des cas. « Le travail bien fait ne vous apporte pas d’influence. Non, pour gagner de l’influence il faut faire du bon travail et bien s’en vanter, ou au minimum le rappeler à tout le monde régulièrement. » Les femmes échouent à cette étape là.

Shirley suggère ici qu’il faut non seulement être bon et régulier, mais il faut aussi savoir se rendre visible sur les forums, chats et listes de discussion, ainsi qu’aux conférences. Puisque les femmes sont apparemment conditionnées culturellement pour ne pas se mettre en avant, elles sont nombreuses à ne pas être à leur avantage dans un projet de logiciel libre ou open source (idem pour les hommes manquant de confiance en eux). Si elles ne peuvent ou ne souhaitent pas s’auto-promouvoir un minimum, leurs idées peuvent passer inaperçues, être sous-estimées ou carrément écartées.

À l’inverse, selon la même logique, certains gagnent en autorité plus parce qu’ils sont sociables ou opiniâtres que pour ce qu’ils réalisent concrètement (j’ai quelques exemples en tête, mais je ne veux pas faire d’attaque personnelle).

Tout comme la démagogie peut pervertir la démocratie, l’auto-promotion peut pervertir la méritocratie. Si un projet n’y prend pas garde, il se retrouvera bien vite à accepter des contributions, non pas sur la base de leur qualité, mais à cause de la visibilité et de l’insistance de celui qui les propose.

L’attraction sociale et comment s’y soustraire

Dans Le mythe de la méritocratie, Stephen J. McNamee et Robert K. Miller, Jr. avancent que la méritocratie aux États-Unis est influencée par ce qu’ils nomment l’attraction sociale. Ce sont des facteurs comme l’origine sociale ou l’éducation qui peuvent modifier positivement ou négativement la perception qu’ont les autres de nos contributions.

D’après moi, l’attraction sociale touche aussi la communauté des logiciels libres et open source, pas simplement parce qu’elle fait partie de notre société industrielle moderne, mais pour des facteurs qui lui sont propres. Reconnaître son existence n’est pas forcément facile, mais ça n’est pas pour autant une remise en cause de la méritocratie dans les logiciels libres et open source. L’importance du travail réalisé par les contributeurs n’en est pas non plus amoindrie.

Au contraire, reconnaître l’existence de l’attraction sociale peut être un premier pas pour améliorer la méritocratie dans le monde des logiciels libres et open source.

Kirrily Robert émet une idée intéressante. À l’instar des auditions anonymes où les musiciennes sont plus facilement choisies lorsque le sexe de la personne qui postule n’est pas connu, Robert propose que les soumissions soient également anonymes afin que leur évaluation ne soit pas biaisée. Si l’augmentation des contributions féminines lui tient à cœur, ces soumissions anonymes pourraient aussi garantir que seul le mérite entre en ligne de compte pour chaque contribution.

Mais ce n’est là qu’une proposition. Si vous voulez que la communauté des logiciels libres et open source devienne véritablement méritocratique, alors elle doit avoir le courage se poser quelques bonnes questions.

Pour commencer, par quel autre moyen peut-on réduire l’importance de l’auto-promotion ? Comment peut-on s’assurer que les employés et les bénévoles soient réellement au même niveau ? Peut-on redéfinir le mérite pour qu’il ne reflète pas uniquement ce qui est lié au code, mais au succès global du projet ?

Répondre à ces questions n’affaiblira pas le principe du mérite. Au contraire, ce principe de base de la communauté devrait en ressortir renforcé, et mieux utilisé. Et c’est, sans aucun doute, ce que souhaite tout supporter des logiciels libres et open source.

Notes

[1] Crédit photo : Banoootah (Creative Commons By)

» Article initialement publié sur Framablog

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